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Face aux grilles du Palais : hommage à Badara Gadiaga


Rédigé le Lundi 21 Juillet 2025 à 14:08 | Lu 78 fois | 0 commentaire(s)






Il est des gestes qui marquent une vie et des pas qui résonnent bien au-delà des trottoirs qu’ils foulent.

Le 23 janvier 2012, devant les grilles du Palais de la République, une poignée de jeunes décida d’abréger les détours et de regarder le pouvoir droit dans les yeux.

Parmi eux, un nom reste gravé : Badara Gadiaga.

Ce texte est un hommage.
Un témoignage de vérité.
Un rappel implacable que certains combats ne vieillissent pas parce qu’ils ont été menés debout, avec dignité.

À l’époque, chaque 23 du mois, l’opposition organisait une manifestation pour dire non au troisième mandat du président Abdoulaye Wade. La date du 31 janvier 2012 marquait la septième mobilisation après celle du 23 juin.

L’opposition scandait, le pouvoir déroulait. Une sorte de théâtre démocratique sans écho. Les discours s’enchaînaient sur des podiums, la sono rugissait mais rien ne bougeait.

Nous, les plus jeunes, étions convaincus que cette méthode ne portait plus. Ce n’était ni l’âge ni l’expérience qui nous faisaient défaut mais l’intuition radicale qu’il fallait aller plus loin. Être plus près, plus audible, plus frontal. Il fallait parler à l’oreille du président.

À la veille de ce 31 janvier, en ma qualité de responsable national des jeunes, j’ai réuni un cercle restreint de camarades, dont Badara Gadiaga.

(Je tairai volontairement les noms des autres acteurs de cette action, par respect pour leur discrétion mais ils se reconnaîtront. Ce récit n’a pas vocation à exposer, seulement à témoigner.)

L’idée a jailli : manifester directement devant les grilles du Palais de la République. Là où le pouvoir ne peut faire semblant de ne pas entendre. Là où l’on n’attend pas le président mais où on le devance.

L’idée était risquée. Le Palais est la zone la plus verrouillée du territoire mais c’est précisément pour cela qu’il fallait y être. Nous savions que notre simple présence devant ces grilles serait un cri que personne ne pourrait étouffer.

Tout devait aller vite. Pas de fuite, pas de failles. Badara prit en charge le repérage. Par où surgir, à quelle heure, comment déjouer les cordons de sécurité ?

Pendant ce temps, des slogans étaient imprimés, des jeunes discrètement mobilisés. Une réunion urgente et capitale fut convoquée pour 8h.

Ce matin-là, en entrant dans la salle, on m’informa qu’un bon nombre de jeunes étaient déjà présents. Je les retrouvai, tous assis, l’air curieux, certains impatients. Je pris place debout, derrière une table, les tracts posés devant moi comme des manifestes. Je levai les yeux et lançai d’une voix ferme, sans détour :

« Il ne s’agit pas d’une réunion. Nous allons manifester devant les grilles du Palais. »

Le silence qui suivit en disait long. Les visages se figèrent, les regards se croisèrent. En une phrase, l’ambiance avait basculé. Ce n’était plus une simple convocation mais une décision historique.

Un silence traversé de regards inquiets s’installa. Puis vinrent les murmures, les doutes. Je les coupai :

« Chacun est libre. Ce que nous faisons est risqué. Je n’en veux à personne. Que chacun prenne ses responsabilités. Des taxis seront affrétés. Mettez-vous aux alentours du palais et rejoignez-moi si vous me voyez apparaître devant le Palais. »

Badara, d’autres et moi avons quitté la salle. Nous avons laissé derrière nous les hésitations et les promesses. Direction l’hôpital Principal, point de ralliement discret avant l’assaut symbolique. On nous fit signe : le groupe était prêt. On pouvait apercevoir ses fils et filles dignes qui avaient résolument décidé de porter un message de liberté et de démocratie devant les grilles du palais de la République.

Je descendis de la voiture et me dirigeai droit vers la grille centrale du Palais. À ma droite, Badara au pas sûr, le regard fixe.
À mesure que nous avancions, des silhouettes se joignaient à nous, silencieusement, instinctivement comme si chacun avait compris que l’heure n’était plus aux discours mais au courage. Le groupe prenait forme. L’Histoire, elle, était déjà en marche.

Arrivés face au garde rouge de service, nous avons avancé vers les grilles et avons brandi nos tracts :

« Wade, libère ton peuple. »

En quelques minutes, des dizaines et des dizaines, nous ont rejoints. La foule grossissait. Les forces de l’ordre, surprises, se ruèrent sur nous. Matraques, insultes, brutalités, tout était bon pour étouffer la révolte.

Mais le signal avait été donné.

Repoussés par la violence, nous avons poursuivi la marche dans Dakar en passant par Sandaga. Arrivés au rond-point de la Médina, la presse nous rattrape. Je prends la parole. Je n’irai pas loin. La police surgit et je suis arrêté, avec quatre autres.

Nous fûmes conduits d’abord au commissariat de Rebeuss, puis transférés au commissariat central où l’on nous interrogea. Sans explication, on nous dirigea ensuite vers le commissariat de Bel-Air. C’est là, dans une cellule exigüe, que nous avons passé la nuit. Le lendemain, retour au central. En fin de journée, nous fûmes relâchés. Aucun regret, aucune reddition. Seulement la conviction renforcée d’avoir fait ce qu’il fallait.

Le message était passé.

Ce jour-là, un frère marchait à mes côtés. Il s’appelle Badara Gadiaga. Il portait un blouson. Je portais une casquette. Il portait le courage, nous portions ensemble l’espoir.

Aujourd’hui, Badara est injustement emprisonné mais qu’ils sachent tous une chose : ce qu’il a toujours défendu, c’est l’État de droit. Ce qu’il a toujours incarné, c’est la dignité d’un combat juste. Ce qu’il a semé ce jour-là devant les grilles du Palais, c’est une graine que la peur ne pourra jamais étouffer.

L’Histoire finira toujours par reconnaître ceux qui, un jour, ont osé se tenir debout là où d’autres baissaient les yeux.

Thierno Bocoum
Président AGIR-LES LEADERS


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