Quelle justice dans un État pris en otage ?


Rédigé le Mardi 20 Octobre 2020 à 12:38 | Lu 176 fois | 0 commentaire(s)




Quelle justice dans un État pris en otage ?
La République centrafricaine (RCA), ancienne colonie française fondée le modèle de la spoliation et du diviser pour mieux régner, est un parfait exemple de la manière dont un État peut se retrouver accaparé, remanié et organisé aux fins d’un véritable pillage, qui bénéficie principalement à des acteurs étrangers. Dans un pays qui n’a connu que l’impunité, au sein duquel l’État s’apparente à une sanglante machine d’extorsion, la justice est-elle encore possible ?
Quelle justice dans un État pris en otage ?
La RCA jouit de ressources naturelles abondantes, notamment de pétrole, d’uranium, de forêts généreuses, de diamants et d’or. Toutes ces ressources sont néanmoins contrôlées par de violents réseaux criminels liés aux politiciens locaux, gouvernements extérieurs et intérêts commerciaux, et qui intègrent dans leurs rangs des enfants désespérés, lourdement armés. Cette situation alimente un conflit   territorial, ainsi qu’un trafic   d’armes et de ressources naturelles.

Au-delà de leur proximité avec les réseaux criminels, les dirigeants de la RCA s’enrichissent directement via les structures du gouvernement, qu’ils ont façonnées dans le seul but de servir leurs propres intérêts, et mobilisent l’armée du pays – ainsi que plusieurs milices – pour préserver leur pouvoir, même si cela doit signifier user d’une violence extrême.

Dans ce contexte, les milliards de dollars versés chaque année à la RCA par les donateurs et organisations d’aide n’équivalent qu’à un pansement humanitaire sur une plaie béante. L’an dernier, l’Indice de développement humain du Programme de développement des Nations Unies plaçait   la RCA en 188e position sur 189 États. La RCA a également été désignée pire pays au monde pour les jeunes.

L’histoire bouleversante de deux femmes – Marie et Adjara – illustre combien la vie en RCA peut être dévastatrice. Marie est une jeune chrétienne d’à peine vingt ans. Sa région natale, la sous-préfecture d’Alindao, regorge d’or, et sert de base à une violente milice de combattants musulmans. Terrifiés par la violence dans la région, Marie et 12 000 autres chrétiens ont fui en direction d’un camp de réfugiés situé à proximité de l’église de la ville d’Alindao, ainsi que de la base d’un contingent des Nations Unies chargé du maintien de la paix.

Marie pensait alors être à l’abri. Elle a rapidement été rattrapée par le chaos, la violence, et connu un traumatisme inimaginable. La milice a en effet attaqué   Ã  coup de rafales d’armes automatiques et de lance-grenades le camp et l’église, qui ont tous deux été réduits en cendres. Lors de l’attaque, les miliciens ont tué une centaine de civils, dont les deux enfants de Marie, et violé de nombreuses femmes. Marie a elle-même été violée après l’attaque, en conséquence de quoi elle est tombée enceinte.

Adjara est une jeune musulmane d’une vingtaine d’années, originaire de Bangassou, importante ville du pays située à proximité de gisements d’or et d’uranium. Un matin, une milice principalement chrétienne a envahi   son quartier musulman. Tandis qu’elle fuyait vers la mosquée, les miliciens ont attaqué à la machette, tuant l’enfant qu’elle portait dans ses bras. Ils ont ensuite enfermé Adjara dans une pièce, la séquestrant pendant 72 heures et la violant à maintes reprises. Elle survit aujourd’hui dans la misère, hantée par le souvenir des atrocités qu’elle a subies.

Le profil respectif de ces deux femmes les place aux antipodes d’une zone de guerre morcelée. Interrogées sur la manière de remédier aux violences dans le pays, Marie et Adjara ont cependant toutes deux répondu la même chose : « justice Â». Mais comment y parvenir ?

La forme la plus évidente de justice consisterait en procès judiciaires établissant la culpabilité criminelle des auteurs des atrocités, soit devant la Cour pénale internationale, qui a confirmé   les qualifications criminelles contre deux chefs de guerre en RCA, soit devant la Cour pénale spéciale, une institution hybride intérieure au pays. Seulement voilà, la justice pénale est parfois douloureusement lente, et la plupart du temps, seuls les membres de milices de rangs inférieurs se retrouvent condamnés.

Une autre approche pourrait résider dans des « sanctions contre les réseaux Â», qui commenceraient par cibler les réseaux extérieurs à la RCA – profiteurs étrangers et membres d’organisations criminelles – qui sont les complices de l’exploitation violente en RCA. Il s’agirait également pour les banques internationales, sous peine de pénalités par les régulateurs américain et européen pour recel d’argent sale, de renforcer leur contrôle sur les transactions liées à la RCA, afin de détecter de possibles démarches de blanchiment d’argent par les trafiquants de ressources naturelles et les réseaux criminels transnationaux.

Des sanctions pourraient également être prononcées contre ceux qui, à l’intérieur de la RCA, sont impliqués dans le vol et le détournement des aides. Dans le même temps, les institutions et gouvernements donateurs – notamment la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, et l’Union européenne – pourraient conditionner les futures aides à d’ambitieux engagements de gouvernance et de lutte contre la corruption. La mise en œuvre de mécanismes d’audit pourrait également contribuer à faire en sorte que les fonds et les approvisionnements ne se retrouvent pas détournés.

Enfin, les sanctions contre les réseaux et les interdictions de déplacement contre les dirigeants politiques corrompus ainsi que les chefs de groupes armés, sans oublier leurs collaborateurs commerciaux, pourraient être déployées plus efficacement. Le fait d’exclure les profiteurs de guerre hors du système financier international contribuerait à refaçonner la structure des incitatifs en RCA, afin qu’ils ne fassent plus primer la violence sur la paix. Quand à ces chefs de guerre qui occupent des postes de ministre ou de haut conseiller du gouvernement – pendant que leurs milices commettent des atrocités et pillent le pays – ils doivent être démis de leurs fonctions.

Par ailleurs, la justice pourrait être appuyée par une force de maintien de la paix de l’ONU plus solide, qui confronte et neutralise activement ceux qui pillent en violant ouvertement les droits de l’homme, en faisant le trafic de ressources et d’armes, ou encore en taxant illégalement des victimes déjà appauvries. Le renforcement de la protection des civils dans les principaux centres de population, ainsi que sur les routes et les sites miniers, y compris via le recours à la force, permettrait également d’atténuer le mal causé par les groupes armés.

La justice doit également passer par des conséquences judiciaires plus lourdes pour ceux des soldats de maintien de la paix qui commettent des violences sexuelles ou font le trafic de ressources naturelles. Une approche plus systémique dans l’indemnisation des survivants doit être élaborée.
En plus de contraindre les auteurs à faire face aux conséquences de leurs crimes, une justice sous toutes ses formes confèrerait un certain levier à ceux qui œuvrent pour la paix, qui promeuvent une bonne gouvernance, et qui défendent les droits de l’homme. Des points faibles existent chez les profiteurs. Ce levier peut être bâti, et des mesures politiques être déployées pour en finir avec le statu quo funeste de la RCA.

La communauté internationale a trop longtemps caressé dans le sens du poil les parties ennemies en RCA, afin qu’elles se contentent de limiter les dégâts. Or, criminels et chefs de guerre continuent de tailler le pays en pièces – et de tirer profit de son démembrement. Le temps doit désormais être celui de la justice. L’heure est venue de remplacer la carotte par le bâton.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
John Prendergast est cofondateur, avec George Clooney, de l’organisation The Sentry  , et coauteur de l’ouvrage intitulé Congo Stories  . Nathalia Dukhan est enquêtrice principale au sein de l’organisation The Sentry.
© Project Syndicate 1995–2020
 



Source : https://www.lejecos.com/Quelle-justice-dans-un-Eta...



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