
Dans un contexte politique mondial actuellement tendu, au sein duquel les droits sont bafoués, et les candidats autoritaires de plus en plus soutenus par les urnes, la démocratie est menacée, et les gouvernements servent de plus en plus les intérêts des élites. L’Afrique du Sud risque aujourd’hui de tomber dans le même piège.
Source : https://www.lejecos.com/Les-elites-sud-africaines-...

Présentant un niveau de concentration des richesses sans égal au niveau mondial, l’Afrique du Sud est vulnérable aux caprices d’une poignée d’individus et d’acteurs d’entreprise. À titre d’exemple, l’industrie minière – pierre angulaire de l’économie sud-africaine – entretient des liens étroits avec le gouvernement, de même que des donateurs en nombre réduit fournissent l’essentiel des financements politiques.
Les élections nationales de l’an dernier, à l’issue desquelles le Congrès national africain (ANC) a perdu sa majorité pour la première fois, ont illustré le mécontentement de la population face au règne néolibéral du parti. La coalition que celui-ci a formée avec l’Alliance démocratique (DA) semble pour autant avoir renforcé le projet élitaire de l’ANC. Cette situation illustre ce que le sociologue Karl von Holdt a appelé la « démocratie violente » de l’Afrique du Sud, alimentée par l’émergence d’un nouvel ordre social marqué par une concurrence féroce autour des rares possibilités d’accumuler des richesses qui ne soient pas monopolisées par les Blancs et les entreprises.
La création d’un gouvernement au service de tous, pas seulement des plus fortunés, nécessite la possibilité d’une opposition politique significative en provenance de la base. Le gouvernement sud-africain réduit les dépenses consacrées aux programmes sociaux depuis une dizaine d’années, ouvrant la voie à la privatisation, tout en accentuant les inégalités et les divisions existantes. L’accès universel à des services publics de qualité doit pouvoir être revendiqué par la population.
L’incapacité à fournir des biens publics satisfaisants peut entraîner des conséquences dévastatrices. En Europe, nous constatons que la crainte de perdre l’accès aux soins de santé alimente l’hostilité à l’immigration. Ce même phénomène s’observe en Afrique du Sud, où les migrants sont devenus les boucs émissaires des défaillances du système, et se voient par conséquent refuser des soins essentiels. Ils sont également tenus pour responsables des niveaux élevés de chômage et d’inégalité dans le pays – des difficultés que des services publics de qualité peuvent permettre de résoudre.
Il est toutefois impossible d’investir davantage dans les services publics sans limiter l’influence de l’argent privé dans la politique. La tâche n’est pas aisée. Alors que les partis politiques sud-africains ne sont d’accord sur pratiquement rien, ils ont fait front commun pendant plusieurs décennies pour s’opposer à davantage de transparence des dons politiques. Même les partis les plus récents se montrent réticents à divulguer leurs sources de financement.
Les efforts visant à renforcer la transparence et la responsabilité en matière de financements politiques se sont soldés par un échec. Promulguée en 2021, la loi sur le financement des partis politiques plafonnait les dons annuels en provenance d’un donateur, et contraignait les partis à déclarer les dons au-dessus d’un certain seuil. Seulement un an plus tard, un ANC à court d’argent s’efforçait d’affaiblir cette loi, avec pour résultat l’adoption de l’amendement sur les questions électorales en 2024. Présenté comme élargissant le champ d’application de la loi afin d’y inclure les candidats et les partis politiques indépendants, cet amendement a en réalité conféré au président davantage de pouvoir dans la détermination du plafond annuel des dons et du seuil de déclaration.
Un renforcement de cette loi désormais appelée « Political Funding Act » constituerait un premier pas utile dans la lutte contre l’association toxique de l’argent et de la politique. Il existe toutefois de nombreux autres moyens pour le capital d’influencer l’élaboration des politiques, et c’est pourquoi nous devons renforcer les exigences de divulgation concernant les réunions, les correspondances et autres interactions entre responsables publics et dirigeants d’entreprise.
De même, il est essentiel de préserver et d’élargir le mandat des organismes de réglementation. À titre d’exemple, la Commission de la concurrence a récemment fait l’objet de vives critiques pour avoir empêché Vodacom, plus grand opérateur de téléphonie mobile du pays, d’acquérir le groupe d’infrastructures de fibre optique Maziv. Les accusations portées contre l’autorité de régulation comprennent des allégations de partialité idéologique et de diffamation personnelle.
Bien qu’aucune institution ne soit exempte de tout reproche, la Commission de la concurrence joue un rôle important dans la protection des Sud-Africains contre la cupidité des entreprises. L’enquête qu’elle a menée sur Johnson & Johnson a conduit la société pharmaceutique à lever ses brevets relatifs à un médicament vital contre la tuberculose en Afrique du Sud. Durant la pandémie de COVID-19, lorsque les laboratoires envisageaient une opportunité de tirer profit des tests PCR, la Commission est intervenue pour en faire baisser les prix. Plus récemment, le régulateur a publié un rapport proposant des recours et des actions permettant de remédier aux effets pernicieux des grandes entreprises technologiques sur l’environnement médiatique du pays. Son appel à des marchés numériques plus équitables a fait de l’Afrique du Sud un front important dans la bataille mondiale pour la préservation des libertés fondamentales.
L’ingérence politique menace cependant de saper l’autorité du régulateur. L’Alliance démocratique, principal parti d’opposition sud-africain devenu partenaire de coalition, préconise la suppression des clauses d’intérêt public dans la loi relative à la concurrence, faisant valoir qu’elles contribueraient à la polarisation des actions antitrust. Plus inquiétant encore, le ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Concurrence, qui supervise la Commission de la concurrence, conteste la décision de celle-ci de faire obstacle à la fusion Vodacom-Maziv. L’annonce récente du régulateur selon laquelle il ne s’opposerait plus à cette fusion n’augure rien de bon quant à son indépendance, sans laquelle il ne pourra plus espérer tempérer les excès des ultrariches et des grandes entreprises.
La collusion des élites menace d’éroder les piliers de la démocratie sud-africaine. Pour empêcher cela, il est essentiel que les Sud-Africains restent vigilants, et qu’ils exigent que des comptes soient rendus. La démocratie n’est pas un acquis immuable, et les aspirants autocrates l’ont bien compris. La prise de position face aux puissants intérêts en place constitue un élément essentiel de tout effort de revitalisation de la démocratie en Afrique du Sud, comme ailleurs.
Koketso Moeti, fondatrice et directrice exécutive d’amandla.mobi, est titulaire de la distinction 2025 Charles F. Kettering Global Fellow.
© Project Syndicate 1995–2025
Les élections nationales de l’an dernier, à l’issue desquelles le Congrès national africain (ANC) a perdu sa majorité pour la première fois, ont illustré le mécontentement de la population face au règne néolibéral du parti. La coalition que celui-ci a formée avec l’Alliance démocratique (DA) semble pour autant avoir renforcé le projet élitaire de l’ANC. Cette situation illustre ce que le sociologue Karl von Holdt a appelé la « démocratie violente » de l’Afrique du Sud, alimentée par l’émergence d’un nouvel ordre social marqué par une concurrence féroce autour des rares possibilités d’accumuler des richesses qui ne soient pas monopolisées par les Blancs et les entreprises.
La création d’un gouvernement au service de tous, pas seulement des plus fortunés, nécessite la possibilité d’une opposition politique significative en provenance de la base. Le gouvernement sud-africain réduit les dépenses consacrées aux programmes sociaux depuis une dizaine d’années, ouvrant la voie à la privatisation, tout en accentuant les inégalités et les divisions existantes. L’accès universel à des services publics de qualité doit pouvoir être revendiqué par la population.
L’incapacité à fournir des biens publics satisfaisants peut entraîner des conséquences dévastatrices. En Europe, nous constatons que la crainte de perdre l’accès aux soins de santé alimente l’hostilité à l’immigration. Ce même phénomène s’observe en Afrique du Sud, où les migrants sont devenus les boucs émissaires des défaillances du système, et se voient par conséquent refuser des soins essentiels. Ils sont également tenus pour responsables des niveaux élevés de chômage et d’inégalité dans le pays – des difficultés que des services publics de qualité peuvent permettre de résoudre.
Il est toutefois impossible d’investir davantage dans les services publics sans limiter l’influence de l’argent privé dans la politique. La tâche n’est pas aisée. Alors que les partis politiques sud-africains ne sont d’accord sur pratiquement rien, ils ont fait front commun pendant plusieurs décennies pour s’opposer à davantage de transparence des dons politiques. Même les partis les plus récents se montrent réticents à divulguer leurs sources de financement.
Les efforts visant à renforcer la transparence et la responsabilité en matière de financements politiques se sont soldés par un échec. Promulguée en 2021, la loi sur le financement des partis politiques plafonnait les dons annuels en provenance d’un donateur, et contraignait les partis à déclarer les dons au-dessus d’un certain seuil. Seulement un an plus tard, un ANC à court d’argent s’efforçait d’affaiblir cette loi, avec pour résultat l’adoption de l’amendement sur les questions électorales en 2024. Présenté comme élargissant le champ d’application de la loi afin d’y inclure les candidats et les partis politiques indépendants, cet amendement a en réalité conféré au président davantage de pouvoir dans la détermination du plafond annuel des dons et du seuil de déclaration.
Un renforcement de cette loi désormais appelée « Political Funding Act » constituerait un premier pas utile dans la lutte contre l’association toxique de l’argent et de la politique. Il existe toutefois de nombreux autres moyens pour le capital d’influencer l’élaboration des politiques, et c’est pourquoi nous devons renforcer les exigences de divulgation concernant les réunions, les correspondances et autres interactions entre responsables publics et dirigeants d’entreprise.
De même, il est essentiel de préserver et d’élargir le mandat des organismes de réglementation. À titre d’exemple, la Commission de la concurrence a récemment fait l’objet de vives critiques pour avoir empêché Vodacom, plus grand opérateur de téléphonie mobile du pays, d’acquérir le groupe d’infrastructures de fibre optique Maziv. Les accusations portées contre l’autorité de régulation comprennent des allégations de partialité idéologique et de diffamation personnelle.
Bien qu’aucune institution ne soit exempte de tout reproche, la Commission de la concurrence joue un rôle important dans la protection des Sud-Africains contre la cupidité des entreprises. L’enquête qu’elle a menée sur Johnson & Johnson a conduit la société pharmaceutique à lever ses brevets relatifs à un médicament vital contre la tuberculose en Afrique du Sud. Durant la pandémie de COVID-19, lorsque les laboratoires envisageaient une opportunité de tirer profit des tests PCR, la Commission est intervenue pour en faire baisser les prix. Plus récemment, le régulateur a publié un rapport proposant des recours et des actions permettant de remédier aux effets pernicieux des grandes entreprises technologiques sur l’environnement médiatique du pays. Son appel à des marchés numériques plus équitables a fait de l’Afrique du Sud un front important dans la bataille mondiale pour la préservation des libertés fondamentales.
L’ingérence politique menace cependant de saper l’autorité du régulateur. L’Alliance démocratique, principal parti d’opposition sud-africain devenu partenaire de coalition, préconise la suppression des clauses d’intérêt public dans la loi relative à la concurrence, faisant valoir qu’elles contribueraient à la polarisation des actions antitrust. Plus inquiétant encore, le ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Concurrence, qui supervise la Commission de la concurrence, conteste la décision de celle-ci de faire obstacle à la fusion Vodacom-Maziv. L’annonce récente du régulateur selon laquelle il ne s’opposerait plus à cette fusion n’augure rien de bon quant à son indépendance, sans laquelle il ne pourra plus espérer tempérer les excès des ultrariches et des grandes entreprises.
La collusion des élites menace d’éroder les piliers de la démocratie sud-africaine. Pour empêcher cela, il est essentiel que les Sud-Africains restent vigilants, et qu’ils exigent que des comptes soient rendus. La démocratie n’est pas un acquis immuable, et les aspirants autocrates l’ont bien compris. La prise de position face aux puissants intérêts en place constitue un élément essentiel de tout effort de revitalisation de la démocratie en Afrique du Sud, comme ailleurs.
Koketso Moeti, fondatrice et directrice exécutive d’amandla.mobi, est titulaire de la distinction 2025 Charles F. Kettering Global Fellow.
© Project Syndicate 1995–2025
Source : https://www.lejecos.com/Les-elites-sud-africaines-...