«Le Sénégal n’a pas les moyens de faire un essai clinique sur le Covid organics»


Rédigé le Samedi 23 Mai 2020 à 23:08 | Lu 309 fois | 0 commentaire(s)




«Le Sénégal n’a pas les moyens de faire un essai clinique sur le Covid organics»

Faire en sorte que les plantes médicinales soient utilisées comme médicaments. Soit telles qu’elles ou comme sources de médicaments : tel a été son combat durant les 37 ans qu’il a servi comme professeur de pharmacognosie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Aujourd’hui, à 66 ans et à la retraite, Emmanuel Bassène, actuel coordonnateur de la cellule de médecine traditionnelle et de phytothérapie au ministère de la Santé et de l’Action sociale, décortique pour l’Obs, l’Artemisia annua, une des composantes du remède malgache contre la Covid-19. L’ancien interne des hôpitaux ne manque pas d’élever le ton face à ce qu’il appelle le mépris du Sénégal pour l’expertise locale en termes de production de médicaments. 

Vous êtes spécialisé dans l’étude des plantes comme médicaments. Est-ce que l’Artémisia a déjà fait partie de vos axes de recherche

L’Artemisia annua (armoise annuelle) a fait irruption dans nos recherches en 2004. Je connaissais déjà cette plante, parce que c’est la source de l’artémisinine, un antipaludique très utilisé actuellement. On a été associé à un projet d’expérimentation des variétés d’Artémisia annua, financé par l’Ong Nomade Rci, avec l’institut polytechnique national de Toulouse au Sénégal et au Cambodge. Il s’agissait de sélectionner des variétés qui produisent beaucoup d’artémisinine, parce que l’Artemisia a beaucoup de variétés qui ne contiennent pas toujours la même quantité d’artémisinine. Lorsqu’on a entamé le projet, il s’est trouvé que Madame Viviane Wade, ancienne Première dame du Sénégal, a eu aussi à s’intéresser aux plantes antipaludiques comme le «niim» et l’Artémisia. On a fédéré nos projets sur les sites à Keur Massar, Mbadakhoune et Keur Boury et un autre au Saloum. Le centre national de recherche forestière s’est aussi joint aux travaux.

Quel est le nom Wolof pour désigner l’Artemisia ? 

Artémisia n’a pas de nom en wolof, puisqu’elle ne pousse pas ici. Elle a été introduite au Sénégal. L’Artémisia est une plante annuelle, d’où l’appellation «annua», qui pousse à l’état sauvage en Chine et en Asie du Sud-Est. Par contre, il y a une variété d’Artémisia dite Artemisia Afra, qui pousse en Afrique, mais elle est moins connue, parce qu’elle ne contient pas d’artémisinine.

Avec l’apparition de la pandémie de Covid-19, Madagascar a proposé le «Covid organics (CVO)», à base d’Artemisia, comme remède. Est-ce que son efficacité est prouvée dans la lutte contre le coronavirus ?

On parle d’Artemisia en tisane, dans la lutte contre la Covid, parce qu’en Chine, lorsque la pandémie s’est déclarée, ils ont tout de suite essayé la chloroquine, parce qu’ils savaient déjà que la chloroquine agit sur les corona. Le raisonnement est simple. La chloroquine agit sur les corona, donc tout ce qui agit sur le paludisme peut être essayé. Il se trouve que l’Artemisia agit sur d’autres virus, tout comme le quinqueliba agit sur des virus. Le «ratt», cela fait 30 ans que les gens savent que cela agit sur le virus de l’herpès. L’efficacité du covid organics ne peut pas être connue tant qu’on ne l’aura pas essayé. La médecine est une science, ce n’est pas de la météo. L’Artemisia peut bien être efficace dans la lutte contre la Covid, tout comme la chloroquine. Il regorge de fibres qui sont antipaludiques et certainement antivirales. Mais Artemisia annua ne figure ni dans la Pharmacopée OUA 1985 ni dans celui de OOAS de 2013. Si l’Artemisia annua avait figuré dans une vraie pharmacopée africaine, la plante aurait plus de légitimité, car des arguments scientifiques et juridiques que lui conféreraient cette pharmacopée seraient mis en avant pour défendre et justifier son utilisation. Mais comme par définition, notre Système rejette les plantes, parce qu’il les juge trop arriérées, ils ne se sont pas donné les outils pour franchir le pas.

 

«On ne peut pas passer tout notre temps à importer des médicaments, alors que des plantes, très efficaces, sont là, à portée de main»

A vous entendre, au Sénégal, on a plus confiance aux produits de l’industrie qu’aux plantes ?

Je dirais qu’au Sénégal, quand on parle de remède, on ne pense pas automatiquement aux plantes. Ils ne pensent pas qu’on peut faire des médicaments avec des plantes. Et puis, les médecins ne sont formatés que pour utiliser des produits qui viennent d’ailleurs. Au Sénégal, on ne fait que de la prescription, au détriment des remèdes à base de plantes naturelles. Comment comprendre que l’université soit dotée d’une unité de pharmacie depuis bientôt 100 ans et qu’elle soit incapable de créer un médicament ? On se limite juste à la prévention. C’est inacceptable. Depuis 3 ans, j’ai été nommé au Ministère comme coordonnateur de la cellule qui s’occupe de médecine traditionnelle et de phytothérapie, mais je peine à voir le bout du tunnel. On espère que le ministère va signer sous peu le document qui permettra d’aller vers une utilisation de nos plantes. C’est ce que j’appelle le document de politique nationale de médecine traditionnelle et de phytothérapie (Dpmtp). On a mis les deux pour que ceux qui travaillent dans la médecine traditionnelle y trouvent leur compte, de même que la médecine moderne, par les plantes comme le Covid organics, qui est de la médecine moderne avec des plantes. C’est un médicament qu’on peut prescrire, bien qu’il y ait des formes en tisanes, mais les tisanes sont aussi des médicaments.

 

Pourquoi aujourd’hui, l’Organisation mondiale de la Santé déconseille son utilisation ?

L’Oms s’occupe de santé, mais n’a pas de laboratoires de recherche. Quand on dit que l’Oms ne préconise pas l’Artemisia, c’est normal. Mais est-ce que l’Oms peut interdire son utilisation ? Ce n’est pas sa prérogative. Quand l’Oms dit qu’elle n’a pas d’expérience sur l’Artemisia, c’est normal car Artemisia/corona, c’est nouveau. Tout le monde n’a pas d’expérience sur ça. Maintenant, on peut comprendre que comme il y avait des scientifiques qui prétendaient qu’ils allaient rapidement créer un vaccin, que l’Oms freine pour dire qu’Artemisia c’est ceci ou cela… Heureusement qu’ils n’ont pas dit qu’Artemisia était toxique.

Donc ils l’ont déconseillé pour encourager des lobbies pharmaceutiques ?

Je ne dirais pas cela, mais ils l’ont déconseillé parce que ce n’est pas une norme de l’Oms.

Est-ce que leur opposition à son utilisation n’est pas motivée par la crainte d’effets secondaires, comme c’est le cas pour la chloroquine ?

 

Pour qu’il y ait effets secondaires, il faut le constater. Les effets secondaires sont prouvés par des expériences. Tant que le Covid organics n’est pas expérimenté, on ne peut pas parler d’effets secondaires.

Avez-vous étudié le covid organics ?

Non. Je ne saurais vous donner la composition du Covid organics.  Contient-il des sauterelles ou pas ? Je n’en sais rien. Des échantillons ont été envoyés à la Direction de la Pharmacie et du Médicament, mais je n’en ai vu aucun. Les gens parlent, citent mon nom, alors que je ne suis associé à rien. Encore moins la médecine par les plantes, dont je suis un spécialiste. Je n’ai reçu aucun spécimen du Cvo. Ils ont une fois fait appel aux tradipraticiens pour les associer à la campagne de sensibilisation sur les gestes barrières, sinon, rien.

Dans ce cas, pourquoi le Professeur Moussa Seydi vous a recommandé pour les travaux sur le covid orgnics ?

(Rires). Je pense qu’il a cité mon nom pour se débarrasser d’une question embarrassante. Il a été prudent de ne pas évoquer un sujet qu’il ne maîtrise pas. Se prononcer sur le covid organics aurait discrédité son opinion sur le «protocole Raoult», qui fait de bons résultats. Il a orienté les gens vers moi parce qu’il sait que les plantes, c’est ma spécialité. Je pense qu’il a voulu pousser les autorités sanitaires à penser à moi. Mais il sait qu’elles ne le feront pas. Il est gentil, mais il sait que les plantes médicinales, surtout celles du Sénégal, ne seront pas associées à la recherche de remèdes pour la Covid. Le Sénégal a un laboratoire de plantes médicinales qui a près de 100 ans d’existence, et donc, recevoir un remède malgache à base de plante, ce n’est pas bon pour son image. On me recommande alors que je ne suis pas associé à ce processus. Moi, je me bats pour que le document de politique nationale de médecine traditionnelle et de phytothérapie (Dpmtp), de 15 pages, soit validé. C’est cela mon combat, pas le corona, qui va disparaître un jour ou l’autre, alors qu’il y a d’autres maladies ici. On ne peut pas passer tout notre temps à importer des médicaments, alors que des plantes, très efficaces, sont là, à portée de main. C’est comme si on allait acheter du mil à Paris pour faire notre «laakh» (bouillie à base de mil). C’est grave ! Comment on peut accepter de ne rien fabriquer, alors qu’on a depuis 100 ans un laboratoire à disposition ?

 

«Au Sénégal, on méprise l’expertise locale en termes de production de médicaments» 

Pour le covid organics, l’aval du comité national d’éthique avait été sollicité. Où en est-on ?

Je pense qu’il y a eu un amalgame autour du Cvo. Le produit a subi tous les tests à Madagascar, il y est autorisé, pourquoi vouloir prétendre recommencer des essais au Sénégal ? Ce n’est pas raisonnable. Ici, ils n’ont pas les moyens de faire un essai clinique sur le Cvo. Si les autorités ont confiance au dossier de présentation du Cvo et au remède malgache, elles doivent lui délivrer une autorisation de mise sur le marché (Amm) et le remettre au personnel soignant. Un essai clinique ne doit pas être un frein à l’Amm. Malheureusement, le législateur sénégalais n’a pas suivi le législateur français dans la réforme de l’AMM (une AMM adaptée aux médicaments composés de parties de plantes (tisanes) ou d’extraits de plantes (produits obtenu après contact avec l’eau ou l’alcool), il est resté figé à l’AMM classique. Résultat : aucun médicament à base de plantes ne peut obtenir l’AMM, personne ne va s’aventurer à déposer un tel dossier à la Direction de la Pharmacie et du Médicament. Le comité d’éthique n’intervient pas ici. On ne peut pas aller embêter le comité d’éthique pour deux ou trois spécimen. S’ils le font, c’est juste pour se rassurer. Ils doivent avoir confiance au Cvo, parce que Madagascar a une longue tradition d’invention de médicaments à base de plantes traditionnelles. Eux, ils valorisent leurs plantes traditionnelles, ce qui n’est pas le cas au Sénégal. On donne ce remède aux Malgaches, pourquoi pas au Sénégalais ? Alors que les gens consomment l’Artemisia sous forme de tisane ou en complément alimentaire.

Qu’est-ce qui explique la réticence des autorités sanitaires à introduire le covid organics dans le protocole de soins ?

L’Etat, à travers le Président, a montré sa volonté politique. Ce sont les experts qui ne suivent pas, parce qu’ils ne sont pas outillés. Si on m’y avait associé, je leur aurais fait part de mon expertise sur la question. Malheureusement, le système sanitaire sénégalais est imperméable à l’innovation en termes thérapeutiques.

Cela ne vous frustre pas qu’on préfère l’expertise venue d’ailleurs à celle locale ?

Cela nous tue. En tant que pharmaciens, ce n’est pas bon car la pharmacie ne se limite pas seulement à la vente, mais aussi à la production de médicaments. Au Sénégal, on méprise l’expertise locale en termes de production de médicaments. C’est regrettable, car la médecine traditionnelle, ce n’est pas du folklore.

NDEYE FATOU SECK



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