La communauté internationale est prompte à souligner les défis et les échecs de l’Afrique en matière de développement, évoquant souvent les progrès limités du continent en matière de réduction de la pauvreté et d’action climatique.
Source : https://www.lejecos.com/Mettre-un-terme-a-la-defor...

Songez à l’attention constamment axée sur l’important déficit de financement climatique en Afrique, estimé à environ 2 800 milliards $ sur la période de 2020 à 2030, ou sur le poids insoutenable de la dette du continent, l’Afrique subsaharienne dépensant actuellement davantage pour le service de la dette qu’elle ne perçoit de financements climatiques. Sont également largement soulignés les progrès décevants des États africains dans la réalisation des Objectifs de développement durable de l’ONU, le continent étant actuellement en voie d’atteindre seulement 6 % des 32 cibles mesurables des ODD d’ici 2030.
Or, ces défis sont amplifiés par le manque de soutien international au développement. Le fossé entre les paroles et les actes s’observe notamment en ce qui concerne l’accomplissement de l’ODD 15, qui vise à protéger, restaurer et promouvoir l’utilisation durable des écosystèmes terrestres, y compris en luttant contre la déforestation. Entre 2010 et 2020, l’Afrique a enregistré le taux annuel de perte nette de forêts le plus élevé au monde, avec une moyenne de 3,9 millions d’hectares. Compte tenu de l’ampleur du problème, il est indispensable que la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP30), qui se tiendra à Belém, adopte une stratégie plus proactive et plus globale pour prévenir la déforestation et réduire les risques environnementaux qui l’accompagnent.
Diverses interventions éprouvées – dont beaucoup sont considérées comme s’étendant au-delà du champ de la politique climatique – pourraient permettre de protéger plusieurs millions d’hectares de forêt en Afrique chaque année, en particulier dans le bassin du Congo, l’un des biens communs les plus essentiels de la planète. Abritant la deuxième plus vaste forêt tropicale humide au monde, ce bassin absorbe environ 1,5 milliard de tonnes de dioxyde de carbone chaque année, et se caractérise par une exceptionnelle biodiversité, comptant près de 10 000 espèces de plantes tropicales, dont 30 % n’existent que dans cette région.
Il est d’autant plus important de préserver le bassin du Congo que l’insatiable demande mondiale en ressources naturelles de l’Afrique décime les forêts du continent. Ce processus remonte au XIXe siècle et au début du XXe siècle, lorsque les puissances impériales européennes ont commencé à exporter du bois ainsi qu’à défricher de vastes étendues de forêts vierges pour exploiter des cultures commerciales telles que le cacao, le café, l’huile de palme, le thé et le caoutchouc. Cette destruction n’a jamais cessé depuis, et s’est intensifiée ces dernières années sous l’effet de la pression démographique ainsi que d’une demande asiatique croissante en matières premières. L’Afrique tropicale a ainsi perdu environ 22 % de sa superficie forestière depuis 1900 – ce qui est comparable aux ravages beaucoup plus médiatisés que l’on déplore en Amazonie.
La déforestation approche rapidement d’un point de basculement dans le bassin du Congo. Entre 2002 et 2024, la République démocratique du Congo, qui abrite environ 60 % de la forêt tropicale du bassin du Congo, a perdu 7,4 millions d’hectares de forêt primaire humide, ce qui représente 36 % de la perte totale de sa surface boisée. Si sa déforestation se poursuit au rythme actuel, de vastes zones du bassin du Congo pourraient disparaître d’ici 2050, ce qui entraînerait des conséquences désastreuses pour la stabilité du climat planétaire.
Il convient de souligner que la soif mondiale de ressources naturelles africaines ne constitue pas le seul facteur de déforestation. L’agriculture de subsistance et l’augmentation de la demande de logements, en particulier dans les zones urbaines en pleine expansion, conduisent également à un défrichement de grande ampleur, principalement en raison d’une faible productivité agricole et d’un mauvais aménagement du territoire.
Dans de nombreux pays africains, les rendements agricoles atteignent seulement 20 à 30 % de leur potentiel, en raison du manque d’irrigation (moins de 5 % des terres cultivées en Afrique subsaharienne sont aujourd’hui irriguées), de l’utilisation limitée d’engrais et de variétés de semences de haute qualité, ainsi que d’un accès insuffisant aux technologies. Pour répondre aux besoins alimentaires d’une population en forte croissance, qui devrait atteindre 2,5 milliards de personnes d’ici 2050, les agriculteurs compensent souvent les faibles rendements des cultures en défrichant davantage de terres et en réduisant les périodes de jachère.
L’absence de planification de l’urbanisation se révèle tout aussi néfaste. Normes défaillantes en matière de logement et prolifération d’habitations individuelles de mauvaise qualité, dépourvues des équipements de base, provoquent un étalement urbain. De nombreuses villes africaines – de Lagos et Douala jusqu’à Kinshasa et Kibera – s’étendent horizontalement plutôt que verticalement, plusieurs millions d’hectares de forêt étant ainsi déboisés pour faire place à ces habitations. Ces pressions sont d’autant plus intenses que plus de 70 % des ménages d’Afrique subsaharienne utilisent encore le bois pour cuisiner et se chauffer, ce qui aggrave la dégradation de l’environnement. Les effets négatifs à long terme de cette mauvaise planification urbaine sur le climat s’en trouvent amplifiés.
Alors que les dirigeants mondiaux s’étaient engagés à stopper et inverser la disparition de forêts ainsi que la dégradation des sols lors des précédentes COP, la déforestation en Afrique continue de l’emporter sur les efforts de restauration, notamment fournis dans le cadre de l’Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains et de l’Initiative de la grande muraille verte. De même, le règlement de l’Union européenne sur les produits sans déforestation constitue une initiative positive, mais ne permettra certainement pas de remédier à ce déséquilibre.
En effet, il ne suffit pas de se concentrer sur la forêt tropicale pour parvenir à la sauver. Des investissements consistant à stimuler la productivité agricole, ainsi qu’à améliorer les normes en matière de logement et la planification territoriale – en plaçant l’accent sur une expansion compacte et verticale plutôt que sur l’étalement urbain – sont indispensables pour préserver la forêt tropicale du bassin du Congo, et prévenir l’effondrement de tout un écosystème.
L’amélioration des rendements agricoles et la construction de villes mieux pensées constituent non seulement la stratégie d’adaptation au changement climatique la plus efficace en termes de coûts, mais produisent également d’importants bienfaits économiques et sociaux. Par ailleurs, en établissant un juste équilibre entre besoins immédiats et durabilité à long terme, des investissements dans ces domaines permettraient à l’Afrique de gérer ses pressions démographiques sans mettre en péril l’avenir de la planète.
Depuis des décennies, les gouvernements africains s’appuient sur les cultures commerciales et les exportations de bois pour constituer leurs réserves de change, privilégiant la croissance et la stabilité macroéconomique au détriment du développement durable. Les ménages africains sont de plus en plus nombreux à adopter une approche similaire, faisant primer leurs besoins fondamentaux sur les considérations climatiques et environnementales. À l’ère d’une crise climatique planétaire, les Africains ne devraient pas être contraints à ce dilemme cornélien.
Le continent africain connaissant une croissance démographique rapide, il serait destructeur pour la planète et pour tous ses habitants de poursuivre sur cette voie. Si nous entendons réduire le risque de franchir des points de basculement climatique, il est indispensable que le monde agisse pour l’amélioration du niveau de vie en Afrique. Tel est le prix à payer pour éviter une catastrophe climatique.
Hippolyte Fofack, ancien économiste en chef de la Banque africaine d’import-export, est membre du Réseau des solutions pour le développement durable à l’Université de Columbia, associé de recherche au Centre d’études africaines de l’Université d’Harvard, membre émérite de la Global Federation of Competitiveness Councils, et membre de l’Académie africaine des sciences.
© Project Syndicate 1995–2025
Or, ces défis sont amplifiés par le manque de soutien international au développement. Le fossé entre les paroles et les actes s’observe notamment en ce qui concerne l’accomplissement de l’ODD 15, qui vise à protéger, restaurer et promouvoir l’utilisation durable des écosystèmes terrestres, y compris en luttant contre la déforestation. Entre 2010 et 2020, l’Afrique a enregistré le taux annuel de perte nette de forêts le plus élevé au monde, avec une moyenne de 3,9 millions d’hectares. Compte tenu de l’ampleur du problème, il est indispensable que la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP30), qui se tiendra à Belém, adopte une stratégie plus proactive et plus globale pour prévenir la déforestation et réduire les risques environnementaux qui l’accompagnent.
Diverses interventions éprouvées – dont beaucoup sont considérées comme s’étendant au-delà du champ de la politique climatique – pourraient permettre de protéger plusieurs millions d’hectares de forêt en Afrique chaque année, en particulier dans le bassin du Congo, l’un des biens communs les plus essentiels de la planète. Abritant la deuxième plus vaste forêt tropicale humide au monde, ce bassin absorbe environ 1,5 milliard de tonnes de dioxyde de carbone chaque année, et se caractérise par une exceptionnelle biodiversité, comptant près de 10 000 espèces de plantes tropicales, dont 30 % n’existent que dans cette région.
Il est d’autant plus important de préserver le bassin du Congo que l’insatiable demande mondiale en ressources naturelles de l’Afrique décime les forêts du continent. Ce processus remonte au XIXe siècle et au début du XXe siècle, lorsque les puissances impériales européennes ont commencé à exporter du bois ainsi qu’à défricher de vastes étendues de forêts vierges pour exploiter des cultures commerciales telles que le cacao, le café, l’huile de palme, le thé et le caoutchouc. Cette destruction n’a jamais cessé depuis, et s’est intensifiée ces dernières années sous l’effet de la pression démographique ainsi que d’une demande asiatique croissante en matières premières. L’Afrique tropicale a ainsi perdu environ 22 % de sa superficie forestière depuis 1900 – ce qui est comparable aux ravages beaucoup plus médiatisés que l’on déplore en Amazonie.
La déforestation approche rapidement d’un point de basculement dans le bassin du Congo. Entre 2002 et 2024, la République démocratique du Congo, qui abrite environ 60 % de la forêt tropicale du bassin du Congo, a perdu 7,4 millions d’hectares de forêt primaire humide, ce qui représente 36 % de la perte totale de sa surface boisée. Si sa déforestation se poursuit au rythme actuel, de vastes zones du bassin du Congo pourraient disparaître d’ici 2050, ce qui entraînerait des conséquences désastreuses pour la stabilité du climat planétaire.
Il convient de souligner que la soif mondiale de ressources naturelles africaines ne constitue pas le seul facteur de déforestation. L’agriculture de subsistance et l’augmentation de la demande de logements, en particulier dans les zones urbaines en pleine expansion, conduisent également à un défrichement de grande ampleur, principalement en raison d’une faible productivité agricole et d’un mauvais aménagement du territoire.
Dans de nombreux pays africains, les rendements agricoles atteignent seulement 20 à 30 % de leur potentiel, en raison du manque d’irrigation (moins de 5 % des terres cultivées en Afrique subsaharienne sont aujourd’hui irriguées), de l’utilisation limitée d’engrais et de variétés de semences de haute qualité, ainsi que d’un accès insuffisant aux technologies. Pour répondre aux besoins alimentaires d’une population en forte croissance, qui devrait atteindre 2,5 milliards de personnes d’ici 2050, les agriculteurs compensent souvent les faibles rendements des cultures en défrichant davantage de terres et en réduisant les périodes de jachère.
L’absence de planification de l’urbanisation se révèle tout aussi néfaste. Normes défaillantes en matière de logement et prolifération d’habitations individuelles de mauvaise qualité, dépourvues des équipements de base, provoquent un étalement urbain. De nombreuses villes africaines – de Lagos et Douala jusqu’à Kinshasa et Kibera – s’étendent horizontalement plutôt que verticalement, plusieurs millions d’hectares de forêt étant ainsi déboisés pour faire place à ces habitations. Ces pressions sont d’autant plus intenses que plus de 70 % des ménages d’Afrique subsaharienne utilisent encore le bois pour cuisiner et se chauffer, ce qui aggrave la dégradation de l’environnement. Les effets négatifs à long terme de cette mauvaise planification urbaine sur le climat s’en trouvent amplifiés.
Alors que les dirigeants mondiaux s’étaient engagés à stopper et inverser la disparition de forêts ainsi que la dégradation des sols lors des précédentes COP, la déforestation en Afrique continue de l’emporter sur les efforts de restauration, notamment fournis dans le cadre de l’Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains et de l’Initiative de la grande muraille verte. De même, le règlement de l’Union européenne sur les produits sans déforestation constitue une initiative positive, mais ne permettra certainement pas de remédier à ce déséquilibre.
En effet, il ne suffit pas de se concentrer sur la forêt tropicale pour parvenir à la sauver. Des investissements consistant à stimuler la productivité agricole, ainsi qu’à améliorer les normes en matière de logement et la planification territoriale – en plaçant l’accent sur une expansion compacte et verticale plutôt que sur l’étalement urbain – sont indispensables pour préserver la forêt tropicale du bassin du Congo, et prévenir l’effondrement de tout un écosystème.
L’amélioration des rendements agricoles et la construction de villes mieux pensées constituent non seulement la stratégie d’adaptation au changement climatique la plus efficace en termes de coûts, mais produisent également d’importants bienfaits économiques et sociaux. Par ailleurs, en établissant un juste équilibre entre besoins immédiats et durabilité à long terme, des investissements dans ces domaines permettraient à l’Afrique de gérer ses pressions démographiques sans mettre en péril l’avenir de la planète.
Depuis des décennies, les gouvernements africains s’appuient sur les cultures commerciales et les exportations de bois pour constituer leurs réserves de change, privilégiant la croissance et la stabilité macroéconomique au détriment du développement durable. Les ménages africains sont de plus en plus nombreux à adopter une approche similaire, faisant primer leurs besoins fondamentaux sur les considérations climatiques et environnementales. À l’ère d’une crise climatique planétaire, les Africains ne devraient pas être contraints à ce dilemme cornélien.
Le continent africain connaissant une croissance démographique rapide, il serait destructeur pour la planète et pour tous ses habitants de poursuivre sur cette voie. Si nous entendons réduire le risque de franchir des points de basculement climatique, il est indispensable que le monde agisse pour l’amélioration du niveau de vie en Afrique. Tel est le prix à payer pour éviter une catastrophe climatique.
Hippolyte Fofack, ancien économiste en chef de la Banque africaine d’import-export, est membre du Réseau des solutions pour le développement durable à l’Université de Columbia, associé de recherche au Centre d’études africaines de l’Université d’Harvard, membre émérite de la Global Federation of Competitiveness Councils, et membre de l’Académie africaine des sciences.
© Project Syndicate 1995–2025
Source : https://www.lejecos.com/Mettre-un-terme-a-la-defor...








