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À crédit, la dignité perd son sens… Par Astou Thiam


Rédigé le Lundi 2 Juin 2025 à 12:53 | Lu 72 fois | 0 commentaire(s)



Ces derniers jours, des vidéos ont commencé à tourner, des annonces à s’habiller de formules soignées, et des discours à s’installer confortablement dans les interstices de la nouveauté. On y découvre que la DER/FJ, cette structure censée impulser l’entrepreneuriat rapide des jeunes et des femmes, s’invite désormais dans le champ du rituel… à tempérament.


Pour la Tabaski 2025, l’institution propose une opération spéciale : permettre aux ménages dits vulnérables d’avoir, eux aussi, leur mouton. En partenariat avec le Fonstab et la BNDE, l’initiative prévoit des bêtes subventionnées, payables en plusieurs fois. « Ce n’est pas parce qu’on n’a pas les moyens qu’on doit attendre un bout de viande de la famille d’à côté », explique Dr Mbodj, soucieuse de rappeler que l’opération vise à préserver la dignité des foyers en difficulté, notamment ceux vivant avec un handicap ou en situation de grande précarité. L’intention se veut noble : mêler solidarité, équité et justice sociale.

Mais dans les faits, on parle bien d’un sacrifice religieux traité comme un équipement domestique. Un mouton payé en tranches, comme un congélateur ou une moto. Et face à cette absurdité doucement emballée dans les mots, on cherche le sourire. Il ne vient pas. Il y a des gestes politiques qui, à force de vouloir panser, finissent par blesser autrement. Distribuer des moutons à crédit à la veille de la Tabaski, dans un pays qui clame vouloir réinventer son destin, ce n’est pas une percée vers l’avant. C’est un demi-tour feutré vers le confort des habitudes.

Une réponse à une pression sociale, pas à une urgence économique

La DER/FJ, ce bras censé propulser l’élan entrepreneurial des jeunes et des femmes, semble avoir troqué pour un temps sa boussole économique contre une posture de mécène des rituels. L’intention, on la devine : préserver la dignité des plus fragiles. Mais à bien y regarder, ce qu’on appelle ici « dignité », c’est surtout le droit de ne pas avoir l’air pauvre. Quitte à l’acheter à tempérament.

Car non, on ne soigne pas la précarité en l’enveloppant de convenances. On ne guérit pas la pression sociale en la subventionnant. Ce que cette opération révèle, c’est un réflexe de confort politique : faciliter la norme plutôt que la questionner. La Tabaski, d’acte de foi, devient mise en scène à crédit. Et l’État, au lieu de bousculer l’ordre symbolique, s’emploie à le rendre plus accessible. Présentée comme une initiative d’inclusion sociale, cette opération masque en réalité un glissement : un outil de financement pensé pour stimuler la productivité se retrouve mobilisé pour répondre à une exigence sociale symboliquement saturée.

Or, il ne s’agit pas ici de santé, d’éducation, ni même d’accès à l’autonomie. Il s’agit de se conformer à tout prix. D’acheter, même à crédit, sa place dans le récit collectif du sacrifice. Même quand les moyens ne suivent pas. Même quand le cœur n’y est pas. C’est le règne du paraître, adoubé par l’institution. Le triomphe du symbole, administré par mensualité. Et c’est là que le bât blesse : on espérait une brèche dans l’ordre établi. On hérite d’un plan de financement.

Une logique de crédit pour une dépense éphémère

Un mouton de Tabaski, c’est sacré. Mais un mouton à crédit, c’est une contradiction. On ne bâtit pas une économie sur l’éphémère. Or, le mouton n’est pas un actif. Il ne produit rien. Il disparaît dans l’élan même du geste. On le sacrifie au nom de Dieu, certes, mais avec quelle logique économique ? L’endettement ne devrait jamais devenir un mode d’accès à la spiritualité . Ce que propose ici la DER/FJ, ce n’est ni de l’entrepreneuriat, ni une stratégie de résilience : c’est une rustine sociale, une tentative de désamorcer la honte sans interroger sa source. On se rassure d’avoir pu offrir « quelque chose », même si cela lie encore plus les plus faibles à la spirale du manque.

Un flou stratégique : inclusion ou dépendance ?

Les cibles sont identifiées : veuves, personnes handicapées, familles vulnérables. Mais qui protège-t-on vraiment ? Et de quoi ? Du regard des autres ? De la rumeur ? De l’absence de viande ? En vérité, ce sont les plus précaires qui héritent du crédit, pas de la solution. Rien n’est proposé pour les sortir durablement de cette précarité. On leur offre un « moment de soulagement », sans lendemain. C’est une inclusion au rabais, une solidarité calibrée pour les caméras. On pense offrir un soulagement, on installe une dépendance à crédit. Le tout avec le sceau de la bienveillance.

Une mission d’État brouillée par le réflexe émotionnel

La DER/FJ devait incarner la promesse d’un Sénégal qui investit dans ses talents, ses idées, sa jeunesse audacieuse. Là, elle devient un outil de régulation du symbolique. Ce n’est pas sa mission. Ce n’est pas sa place. Quand l’instrument de la transformation devient l’agent de la reproduction des normes, alors le discours du changement sonne creux. L’opération mouton est peut-être bien intentionnée, mais elle signe une défaite stratégique : celle de ne pas savoir trancher entre ce qui flatte et ce qui élève.

Pendant ce temps, au Maroc, le roi a tranché avec un sens du symbole rare : il a décrété que le sacrifice serait accompli en son nom pour l’ensemble des citoyens. Ni dette à contracter. Ni mise en scène. Juste un geste fort, sobre, qui protège les consciences et allège les foyers. Une autorité qui choisit le soulagement plutôt que la pression. Chez nous, on prend un rituel facultatif, on le gonfle de normes sociales… et on y colle un crédit. La différence n’est pas que géographique. Elle est politique. Elle est culturelle. Il fallait faire quelque chose, oui, mais pas n’importe quoi. Et face à certaines décisions, difficile de ne pas sentir planer un parfum d’improvisation.

Ce que ce geste dit (ou tait) de notre rapport à la transformation

Ce n’est pas le mouton le problème. C’est ce qu’on en fait. Ce qu’on choisit de lui faire dire. Et ce qu’on oublie de dire à côté. Sommes-nous prêts à déconstruire les conditionnements sociaux ? À dire que ne pas sacrifier ne retire rien à la foi ? Que l’honneur ne se résume pas à une peau suspendue au portail ?

Le changement de paradigme ne viendra pas d’un slogan. Il viendra d’actes courageux. De politiques publiques qui regardent les citoyens comme des adultes capables d’entendre la vérité : parfois, on ne peut pas. Et ce n’est pas un drame. C’est une étape. Un mouton à crédit n’est pas un acquis. Ce n’est pas un progrès. C’est un piège doux. Et nous valons mieux qu’une dignité monnayée par mensualité. Et si on changeait vraiment de paradigme ? À moins qu’on ne préfère reconduire les automatismes en les rhabillant d’inclusion. Mais alors, quel nouveau type de Sénégalais prétendons-nous forger ?

Cette opération n’est ni absurde, ni illégitime si l’on se place du côté des familles qui, chaque année, vivent la Tabaski comme une épreuve sociale. Mais elle devient contestable dans sa forme, ambiguë dans son message, et incohérente dans son usage des outils publics.
Si la DER/FJ veut soulager les plus pauvres, qu’elle renforce les transferts sociaux.
Si elle veut soutenir la filière ovine, qu’elle finance les éleveurs en amont.
Mais si elle veut développer l’entrepreneuriat, alors le mouton de Tabaski ne doit pas être son totem.

Astou Thiam


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