À Touba, les familles dépannent les « modou-modou » impactés par la Covid-19


Rédigé le Mercredi 23 Septembre 2020 à 11:37 | Lu 151 fois | 0 commentaire(s)



La Covid-19 continue de charpenter son récit d’horreur et de tristesse. Les émigrés, figures de l’opulence il n’y a guère longtemps, en subissent les tourments au grand dam de leurs familles restées au Sénégal et obligées de venir à leur secours en leur envoyant de l’argent. Ceux originaires de Touba ne font pas exception.


La misère des émigrés de Touba ! Tel pourrait être le titre d’un feuilleton à la fois ubuesque et affligeant. Habitués à envoyer de l’argent aux proches restés au pays, qui en ont fait la figure de la prodigalité et de l’espoir, les émigrés subissent durement les effets de la Covid-19. Les «flots» se sont subitement interrompus. Pendant longtemps confinés dans leurs pays d’accueil, principalement l’Espagne et l’Italie, ils peinent à retrouver un emploi stable, poussant ainsi leurs famille à leur venir en aide. C’est l’effet boomerang. Au moment où les familles trinquent, les gérants de cash transfert se frottent les mains. Fatou Ndiaye est gérante d’une boutique de transfert d’argent à Ndamatou, qui se trouve à une encablure de l’hôpital. Ce coin prisé ne désemplit pas.

Daba, épouse d’un « modou-modou » (émigré), y est venue pour effectuer une opération qu’elle n’aurait jamais cru devoir faire un jour. En effet, la bonne dame envoie de l’argent à son époux qui, selon elle, ne travaille plus depuis le début de la crise sanitaire. Au comptoir, elle ouvre son sac et en ressort trois liasses de billets de 10.000 FCfa, soit 300.000 FCfa. « C’est normal, je ne fais que mon devoir. Il s’est beaucoup investi pour la famille depuis qu’il est en Italie Â», confie-t-elle, le regard perdu. C’est ici même qu’elle retirait les envois de son mari émigré. Et depuis le mois de juin, c’est plutôt elle qui lui envoie régulièrement de l’argent.

À en croire Fatou Ndiaye, presque 80% des opérations des mois de mars et d’avril suivaient cette tendance à Touba. «Sur un montant d’un million de transfert, les 800.000 FCfa étaient destinés aux émigrés. Aujourd’hui, la tendance est à la baisse, mais le phénomène existe toujours», renseigne la gérante. Ibrahima Fall, un autre gérant sur l’avenue 28, ne dit pas le contraire. Les envois vers l’Europe sont moins fréquents. «Au mois d’avril, ils avoisinaient les trois millions de FCfa par jour. Parfois, une famille pouvait envoyer un million», dit-il.

« J’envoie 300.000 FCfa à mon mari tous les mois »

La famille Ndiaye habite dans une belle villa non loin de l’hôpital Ndamatou. Un vieil homme assis sur une chaise pliante égrène un chapelet. Deux de ses fils, pour qui il éprouve de l’empathie, vivent en Italie. Ici, la pandémie a bouleversé le train de vie de toute une famille. «À présent, c’est nous qui leur envoyons de quoi subvenir à leurs besoins. Ils ne travaillent plus depuis le mois de mars, mais on s’organise pour leur venir en aide. Et je trouve que c’est raisonnable Â», soutient-il, fataliste.

Dieynaba, en couple depuis 7 ans avec le fils aîné du patriarche, n’en est pas plus abattue même si les certitudes ont été ébranlées. «Avec mes deux enfants, je vis dans la maison avec ma co-épouse et ma belle-famille. J’éprouve toujours une grande peur quand il faut décrocher le téléphone ; peur d’entendre une mauvaise nouvelle. La situation en Italie est difficile et les émigrés ont des problèmes pour retrouver leur travail», s’épanche-t-elle, pressée de voir cette pandémie disparaître. «Depuis trois mois, ajoute-t-elle, j’envoie de l’argent à mon époux. Il a un compte ouvert en mon nom et c’est à partir de là que je lui envoie des sommes avoisinant 300.000 FCfa. Avant la pandémie, il m’envoyait de l’argent pour la construction de sa maison. C’est cette épargne que nous sommes en train d’utiliser pour qu’il puisse subvenir à ses besoins. Son frère avait le même projet et son épouse adopte la même approche à l’insu de la belle-famille.»

Renvoi d’ascenseur

Bachir Gaye réside à Khaira. Trois de ses frères sont en Italie. Sa famille est habituée à y envoyer de l’argent. L’un des trois frères n’a pas rencontré la fortune dans cet eldorado. Et la famille s’organisait pour lui apporter de l’aide. Mais « la survenue de la pandémie a tout chamboulé. Aucun des trois ne travaille plus et il leur faut régler certaines urgences. C’est ainsi que depuis la mi-mars, nous faisons des envois vers l’Italie. Nous avons réduit les dépenses familiales compte tenu de la situation Â», a fait savoir Bachir Gaye, qui dit agir par devoir de reconnaissance au-delà des liens de sang.

Malaw, un habitant du quartier de Darou Khoudoss, révèle également avoir envoyé son dernier mandat il y a deux jours. Pour lui, c’est une manière de renvoyer l’ascenseur à ses bienfaiteurs de l’autre côté du monde étreints par les effets du coronavirus. «Dans la famille, nous nous sommes concertés quand nos frères vivant en Italie nous ont interpellés. Chaque mois, nous parvenons à collecter entre 500.000 et un million de FCfa que nous leur envoyons parce qu’ils traversent des moments difficiles», confie-t-il, conscient que cette situation ne saurait perdurer. La Covid-19 a rendu les équilibres fragiles.





Le Soleil



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