Perturbations du système judiciaire : la présidente du Tribunal d’instance : «Je n’ai pas vu mon personnel depuis ma prise de fonctions»


Rédigé le Mercredi 29 Juillet 2020 à 23:08 | Lu 128 fois | 0 commentaire(s)




L’année judiciaire en cours a été mouvementée avec les grèves répétitives du Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust) et les restrictions imposées par le Covid-19. Plusieurs personnalités judiciaires la jugent perdue après toutes ces péripéties, surtout que les vacances judiciaires débutent dans 72 h.

La grève du Sytjust et les restrictions imposées par le Covid-19 pendant trois mois ont mis le système judiciaire en berne. Alors que rien ne laisse entrevoir la fin du bras de fer entre le Syndicat des travailleurs de la justice et la Chancellerie, les Cours et tribunaux continuent à être paralysés par les mouvements de grève répétés du Sytjust. Au grand dam des usagers privés de certains actes administratifs comme la délivrance de casiers judiciaires, certificats de nationalité, entre autres.
Il règne une ambiance terne au Palais de justice Lat Dior de Dakar même si tout n’est pas à l’arrêt. Au niveau des escaliers qui mènent au bureau de délivrance des casiers judiciaires, c’est silence de cathédrale. Les fenêtres sont closes, les contenus des affiches devenus ca­ducs.
Assis sur un banc, des justiciables sont dans l’attente d’un service qu’ils n’auront pas à cause d’un mouvement d’humeur qui se prolonge depuis plus d’un mois. Au Service des archives du Palais de justice, le minimum est assuré dans la délivrance des casiers judiciaires. Des agents reçoivent les dossiers de demande déposés sur des piles de documents soigneusement rangés sur une table. Dans la pièce exhale l’odeur du thé qui bouillonne sur le chauffe-eau. En l’absence de l’Administrateur des greffes, les agents ne veulent pas donner de détails sur le nombre de casiers délivrés en ces temps de grève. Mais une source consent juste à préciser qu’un seul casier judiciaire est donné par usager chaque jour au niveau du Tribu­nal de grande instance de Dakar.

La présidente du Ti : «Aucun papier n’est délivré»
Au Tribunal d’instance Dakar, les audiences se tiennent aussi dans certaines salles. Gel hydro-alcoolique en main, un gendarme filtre les entrées et sorties du Palais de justice au niveau de la porte principale. A la deuxième porte, les objets passent au portique de sécurité sous la supervision d’un Asp, les yeux rivés sur le petit écran. La rigueur dans le contrôle du respect des barrières sanitaires comme le port du masque est de mise : les détenus, juges, parquetiers, agents de sécurité, témoins, journalistes sont astreints au respect des gestes barrières. Aux Flagrants délits et à la Chambre criminelle, les procès passent à tour de rôle. Alors qu’au Tribunal du travail hors classe de Dakar, l’on tente d’assurer la continuité du service comme on peut. «On essaye d’assurer la continuité du service public. On essaye de gérer la situation tant bien que mal en espérant de tous nos vœux que la situation revienne à la normale. Ici, chaque dossier est un drame social. Ce sont des drames sociaux qui se jouent, donc c’est de notre rôle d’assurer la continuité», appelle la présidente de cette juridiction, Marie Odile Thiakane, qui s’appuie sur des greffiers ad hoc et quelques grévistes qui sont venus lui apporter assistance sur sa demande. Ce jour-là, les affaires de licenciement ou d’un agent qui n’a pas perçu de salaire sont enrôlées.
Le Tribunal de grande instance (Tgi) de Dakar n’a pas été trop impacté par la grève du Sytjust qui a réussi à paralyser le Tribunal d’instance (Ti), qui s’occupe des contentieux liés à l’Etat civil. «L’état civil au Sénégal, c’est très compliqué. Les gens n’ont pas de papiers. On est en juillet. Avec l’approche des examens et pour les voyages, les gens ont besoin de leurs papiers. Donc il y a un rush énorme en cette période. Et le contentieux de l’état civil en ce moment est complètement bloqué», reconnaît Aminata Diène Paye, présidente du Ti de Dakar, qui compte seulement 9 juges et 20 greffiers dont 7 continuent à travailler, car ils militent au niveau de l’Union nationale des travailleurs de la justice (Untj) qui n’est pas concernée par ce mouvement d’humeur.
Par ailleurs, le personnel administratif aussi est en grève. «Alors qu’on a un personnel administratif assez fourni qui fait presque plus de 30 personnes», détaille le magistrat. Ancienne du Tgi, elle a pris service il y a à peine un mois, donc en pleine crise. «Je n’ai pas encore vu mon personnel, donc mon courrier est complétement bloqué. Actuellement, on ne prend pas de courriers. Nous ne prenons que les flagrants délits, la grande correctionnelle et un peu de patrimonial et un peu de succession. Au niveau de la délivrance, on ne délivre rien, parce que nous n’avons qu’un personnel administratif au niveau de la délivrance. Le service de la délivrance est complétement bloqué. Même si nous prenons des décisions, nous ne pouvons pas les délivrer bien vrai que l’Administrateur des greffes est là. C’est un chef de service, il ne peut pas aller en grève, mais on ne délivre pas parce que tout son secrétariat est bloqué», soutient la présidente. Elle complète : «Le service de délivrance est en grève, le service de nationalité, ils sont en grève. Aucun papier n’est délivré, je crois que nous sommes la juridiction la plus touchée par cette grève. Presque tout notre personnel est en grève. La quasi-totalité, il n’y a pas de greffiers ad hoc, parce que dans les autres juridictions, il y a des gendarmes au service de l’enrôlement ou du courrier, mais ici ce sont des greffiers et des agents administratifs qui sont chargés du courrier.» Quelque part, la scission au sein du Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust), avec la mise sur pied de l’Union nationale des travailleurs de la justice (Untj), a permis aussi de réduire l’impact de la grève sur le système judiciaire qui a connu une année 2020 mouvementée.

«L’année judiciaire 2019-2020 est perdue»
Avant la crise actuelle, la justice a connu quelques mois de suspension à cause du Covid-19. «Dès qu’on a repris, les greffiers ont déclenché le mouvement de grève et c’est fait à dessein en vérité. Ils ont choisi le moment là pour vraiment bloquer le système en se disant que tout va mal déjà, la bête est blessée, il faut juste l’achever», a laissé entendre un magistrat sous couvert de l’anonymat. Pour lui, «c’est juste pour mettre la pression sur les autorités, mais elles ne peuvent pas. Ce qu’ils demandent n’est pas possible. Moi, je suis un peu déçu d’autant plus que les syndicats avaient décidé le 1er mai passé de ne pas déposer de cahiers de doléances parce qu’ils se sont dit que nous traversons des moments difficiles. Donc, on ne doit pas encore enfoncer la situation. Ils ont choisi de faire exception à cette règle au point même d’aller jusqu’à bloquer la machine judiciaire pendant ces moments difficiles, pendant qu’on cherche à évacuer les prisons en tenant des audiences de flagrant délit rapidement». De son avis, «ce n’est pas le meilleur moment. Dans le principe, l’Etat a posé un acte très malheureux que je déplore. L’Etat avait pris un décret, mais quand ils sont entrés dans la phase de mise en œuvre, ils se sont rendu compte que ça ne pouvait pas passer, parce qu’ils se sont rendu compte que les greffiers risquaient d’être mieux payés que les magistrats». Il poursuit : «Avec ça, la Fonction publique serait déstructurée. Vous ne pouvez pas voir dans une Armée un caporal percevoir un salaire supérieur à celui de l’adjudant ou du capitaine. C’est pratiquement la même situation. La vérité, c’est l’Etat qui a failli.»
Cette année, l’année judiciaire est complètement perdue. Après les suspensions forcées liées au Covid-19, cumulées à la grève, les vacances judiciaires prévues à partir du 1er août vont davantage peser sur le fonctionnement du service. A cause de cette situation, certaines affaires vont être renvoyées. «C’est dire que l’année est déjà compromise», se résigne un avocat. Me Moustapha Dieng renchérit : «On a perdu l’année judiciaire, parce que le Covid-19 a commencé en début mars. Il y a un mois et demi de cela que le Sytjust a entamé sa grève, donc nous n’avons eu que deux mois effectifs de travail et les magistrats s’apprêtent à aller en vacances judiciaires pour encore trois mois. Cette année judiciaire est perdue, les grands perdants ce sont les justiciables avant tout.» Il appelle à une résolution rapide de la crise qui perdure à travers «des discussions autour d’une table entre les pouvoirs publics, les syndicalistes, les bonnes volontés dont l’Ordre des avocats, pour régler ce conflit collectif, avant qu’il y ait embrasement et véritablement explosion de toute la compagnie judiciaire».

Me Moustapha Dieng : «Cette grève nous coûte énormément»
En ce mercredi 22 juillet, plusieurs affaires sont inscrites au rôle du Tribunal pour enfants de Pikine-Guédiawaye en audience correctionnelle. Devant la salle d’audience, deux Agents d’assistance de proximité (Aps) montent la garde. «Coups et blessures volontaires (Cbv), association de malfaiteurs, tentative de vol en réunion commise la nuit avec violences et voies de fait, mauvais traitement sur un animal» sont entre autres délits pour lesquels comparaissaient les mineurs ce jour-là. Me Moustapha Dieng vient de plaider dans une affaire dont il refuse de dévoiler les détails à sa sortie. Par contre, il est pressé de voir Thémis reprendre le cours normal de sa vie. «Cette grève pose problème. Les avocats et leurs cabinets le ressentent vivement, mais au-delà de nos modestes personnes, il se pose le problème de l’impact de ce mouvement sur les justiciables. Personne ne peut, ne ce est-ce, récupérer un certificat de nationalité ou un casier judiciaire, je passe sur les jugements qui ont été rendus et qui ne peuvent pas être disponibles du fait même de l’absence des greffiers. Cette grève nous coûte énormément cher. Elle perturbe de façon profonde le bon fonctionnement du service public de la justice, et toute la compagnie judiciaire le ressent», se désole l’avocat. Des propos corroborés par une source anonyme au Barreau de Dakar : «Les avocats en ont vraiment pâti. C’est un impact qui est réel.» Evidemment !

 


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