Maintenant qu’on connaît les raisons de votre long silence, pourquoi avez-vous décidé d’y mettre fin ? Pouvez-vous nous donner votre version de ce qu’il est convenu d’appeler «l’affaire des 94 milliards» ?
Tout à fait ! Aujourd’hui, je suis plus à l’aise. Car, autant j’estimais qu’un dossier administratif en cours ne devait pas être exposé sur la place publique, autant je suis obligé de constater que ce dossier est désormais dans la rue. Ce qui rend d’autant plus nécessaire et urgent de corriger les nombreuses contrevérités distillées par les petits calomniateurs de Pastef.
Je vais essayer d’être le plus concis possible, car c’est une affaire longue et techniquement assez complexe.
Mais retenez ceci: le titre foncier (TF) n°1451 R, d’une superficie de 258 hectares, datant de 1959, appartenait à deux familles de Lébous de Rufisque. Il avait été vendu en 1979 à la société immobilière SAIM Indépendance, une vente qui a été contestée en justice à partir de 1995 par les héritiers des deux familles.
En 1997, l’Etat du Sénégal a exproprié le TF 1451 R et indemnisé la société immobilière qui, jusqu’à cette date, en était le propriétaire légal.
Mais, en 2012, au terme d’une longue bataille judiciaire, les héritiers lébous ont obtenu l’annulation de la vente intervenue en 1979. Du coup, ils ont commencé à émettre des prétentions sur le TF 1451 R, alors que celui-ci était passé dans le patrimoine de l’Etat depuis longtemps, du fait de l’expropriation !
En droit, n’importe quel juriste vous le confirmera, l’annulation judiciaire d’un contrat a un effet rétroactif: les parties sont replacées dans la situation qui était la leur avant la transaction. Autrement dit, les Lébous redevenaient les propriétaires, au sens juridique du terme, du TF.
Ce qui était un problème, car les terres n’étaient même plus disponibles puisque affectées à des projets de l’Etat, au profit notamment de la SNHLM.
En d’autres termes, ce que les familles léboues possédaient en réalité, ce n’était plus un bien physique, à savoir des terrains, mais un bien incorporel, en l’occurrence une créance sur l’Etat.
En 2016, les héritiers ont choisi de céder à l’institution financière SOFICO leurs droits, actions et créances sur l’ensemble du TF. Ce n’est pas à moi de mentionner le prix, mais, journaliste expérimenté, vous savez sans doute que la transaction s’était chiffrée à plusieurs milliards de francs CFA.
En tout cas, c’est là où les choses commencent à se brouiller: l’intervention de SOFICO…
Ecoutez, je ne peux pas m’exprimer à la place des parties à propos de cette transaction qui ne me concerne pas, mais je peux vous dire une chose et elle est facilement vérifiable : dans les dossiers fonciers importants, les cessions de créances sont monnaie courante, elles constituent même la règle.
Quand vous possédez une créance sur l’Etat, qui atteint plusieurs milliards et résulte d’un contentieux, croyez-vous qu’il soit facile de se faire payer ? Ce n’est un secret pour personne: l’Etat gère beaucoup de contraintes et, au moment des arbitrages de trésorerie, certaines dépenses ne sont pas des priorités.
On peut comprendre très facilement l’intérêt de la cession de créances pour des familles sénégalaises modestes, composées de nombreux membres, qui plus est épuisées par plus de vingt années de procédures judiciaires et administratives.
Vu que les banques et les établissements financiers qui rachètent ces créances sont des investisseurs institutionnels, ils possèdent les moyens de gérer la complexité des procédures. Mais, surtout, ils ont du temps, un temps que ne possèdent pas forcément des personnes physiques, des pères de famille qui aimeraient bien jouir de leur bien sans devoir attendre plusieurs années encore. « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » : ce n’est pas autre chose.
D’accord, mais jusque-là on ne voit pas ce que le directeur des Domaines fait dans l’opération…
Je vous ai dit tout à l’heure que les familles léboues ne possédaient plus des terres à proprement parler, puisqu’il s’était écoulé 34 ans entre leur cession et l’annulation de la vente; il ne leur restait qu’un droit de créance sur l’Etat, droit qu’ils ont revendu à un investisseur.
Le problème qui se posait alors était celui de la valorisation de ce droit. Autrement dit: combien l’Etat devait-il à présent payer en contrepartie des terres qu’il avait expropriées vingt ans plus tôt ?
C’est vous qui avez fixé le montant ?
Absolument pas ! C’est la compétence d’une commission, celle-là même prévue à l’article 3 du décret n°97-563 du 3 juillet 1997 portant application de la loi de 1976 sur les expropriations pour cause d’utilité publique.
SOFICO a introduit un recours devant cette commission, seule habilitée à fixer les modalités de l’indemnisation.
Etiez-vous le président de la commission ?
Du tout. Je n’en suis même pas membre. La commission est présidée par le Gouverneur de région et le Receveur des Domaines fait office de rapporteur. Le Directeur des Domaines que je suis est juste informé, a posteriori, de ses décisions car, par contre, c’est à moi qu’il incombe d’exécuter celles-ci.
Bref, la commission s’est réunie le 21 août 2017 et a retenu une base d’indemnisation, avec une forte décote. Malgré cette décote, la dette de l’Etat vis-à -vis de SOFICO, qui s’était substituée aux Lébous, s’élève à 94 milliards. Voilà d’où vient ce fameux chiffre de 94 milliards ! Vous comprenez donc pourquoi, lorsque Ousmane Sonko m’accuse de détournement sur cette somme, j’en tombe de ma chaise…
Mais 94 milliards, c’est énorme. On peut dire que la commission n’y est pas allée de main morte… D’où les suspicions…
Je ne vous laisserai pas dire cela. Même si je ne suis pas membre de la commission, et donc pas comptable de ses décisions, j’ose affirmer ici qu’elle a fait du bon travail puisqu’elle a permis à l’Etat d’économiser beaucoup d’argent.
Car il existait un rapport d’expertise qui, sur une base scientifique, avait évalué la valeur des terrains expropriés et fixé un prix au mètre carré de 75.000 francs cfa. Savez-vous le prix au mètre carré que la commission a retenu de son côté ? 37.000 francs ! Autrement dit, moins de la moitié du prix déterminé à dires d’expert.
On l’a échappé belle d’ailleurs, car si SOFICO avait contesté en justice la décision de la commission, il est certain que l’addition aurait été beaucoup plus salée.
L’expérience prouve que les tribunaux sénégalais sont soucieux de protéger les droits des particuliers face à l’Etat et ont une forte tendance à arrêter des prix d’indemnisation proches de la valeur vénale. On parle ici d’une superficie de 258 hectares, faites le calcul… Et, comme SOFICO est un investisseur aguerri, disposant de toutes les ressources en termes d’avocats, d’experts, etc., je vous laisse deviner l’issue probable d’une éventuelle bataille judiciaire. Heureusement, la société a préféré négocier.
Grâce soit donc rendue au Gouverneur de Dakar d’avoir réussi à imposer un prix qui fait plus que diviser par deux ce que l’Etat aurait réellement dû débourser.
A la date d’aujourd’hui, l’Etat a-t-il libéré les 94 milliards au profit de l’investisseur ?
A ce jour, seuls 3 milliards ont été payés. Car, par la suite, j’avais été informé de l’existence d’un litige entre certains héritiers lébous et SOFICO, au sujet du rachat de leurs créances.
Comme mesure conservatoire, j’avais immédiatement suspendu le versement des indemnités d’expropriation et, depuis lors, le dossier n’a pas bougé d’un iota. C’était bien avant les élucubrations de Ousmane Sonko.
Mais je suppose que c’est plus porteur pour lui de m’attaquer sur 94 milliards que sur 3 milliards.
Sur quoi exactement porte ce litige entre SOFICO et une partie des héritiers ?
Qu’est-ce que j’en sais ? Pardon de le dire ainsi, mais le fond de leur litige ne m’intéresse nullement. La seule précaution que j’avais en tête et que j’ai prise, c’était de bloquer les paiements en attendant que ce contentieux entre personnes privées se dénoue.
Car j’ai voulu éviter que se répète ce qui était arrivé à l’Etat, il y a plusieurs années. Rappelez-vous: en 1997, on exproprie le terrain et on indemnise SAIM Indépendance, propriétaire depuis 1979. En 2012, la justice annule le contrat par lequel SAIM Indépendance s’était portée acquéreur et, du coup, l’Etat se retrouve avec de nouveaux propriétaires, les familles léboues, qu’il faut indemniser à nouveau, alors qu’entre-temps, la valeur du terrain a augmenté.
Concrètement, vous voulez donc dire que les 94 milliards ne sont pas de la trésorerie, mais que c’est juste une créance de SOFICO sur l’Etat…
Du papier ! De l’argent virtuel ! Voilà ce que sont ces fameux 94 milliards. Et, vu les contentieux qu’il y a autour de cette affaire, je me demande même si SOFICO va un jour arriver à entrer dans ses fonds, au regard des milliards qu’elle a déjà décaissés au moment du rachat de la créance.
Tout à fait ! Aujourd’hui, je suis plus à l’aise. Car, autant j’estimais qu’un dossier administratif en cours ne devait pas être exposé sur la place publique, autant je suis obligé de constater que ce dossier est désormais dans la rue. Ce qui rend d’autant plus nécessaire et urgent de corriger les nombreuses contrevérités distillées par les petits calomniateurs de Pastef.
Je vais essayer d’être le plus concis possible, car c’est une affaire longue et techniquement assez complexe.
Mais retenez ceci: le titre foncier (TF) n°1451 R, d’une superficie de 258 hectares, datant de 1959, appartenait à deux familles de Lébous de Rufisque. Il avait été vendu en 1979 à la société immobilière SAIM Indépendance, une vente qui a été contestée en justice à partir de 1995 par les héritiers des deux familles.
En 1997, l’Etat du Sénégal a exproprié le TF 1451 R et indemnisé la société immobilière qui, jusqu’à cette date, en était le propriétaire légal.
Mais, en 2012, au terme d’une longue bataille judiciaire, les héritiers lébous ont obtenu l’annulation de la vente intervenue en 1979. Du coup, ils ont commencé à émettre des prétentions sur le TF 1451 R, alors que celui-ci était passé dans le patrimoine de l’Etat depuis longtemps, du fait de l’expropriation !
En droit, n’importe quel juriste vous le confirmera, l’annulation judiciaire d’un contrat a un effet rétroactif: les parties sont replacées dans la situation qui était la leur avant la transaction. Autrement dit, les Lébous redevenaient les propriétaires, au sens juridique du terme, du TF.
Ce qui était un problème, car les terres n’étaient même plus disponibles puisque affectées à des projets de l’Etat, au profit notamment de la SNHLM.
En d’autres termes, ce que les familles léboues possédaient en réalité, ce n’était plus un bien physique, à savoir des terrains, mais un bien incorporel, en l’occurrence une créance sur l’Etat.
En 2016, les héritiers ont choisi de céder à l’institution financière SOFICO leurs droits, actions et créances sur l’ensemble du TF. Ce n’est pas à moi de mentionner le prix, mais, journaliste expérimenté, vous savez sans doute que la transaction s’était chiffrée à plusieurs milliards de francs CFA.
En tout cas, c’est là où les choses commencent à se brouiller: l’intervention de SOFICO…
Ecoutez, je ne peux pas m’exprimer à la place des parties à propos de cette transaction qui ne me concerne pas, mais je peux vous dire une chose et elle est facilement vérifiable : dans les dossiers fonciers importants, les cessions de créances sont monnaie courante, elles constituent même la règle.
Quand vous possédez une créance sur l’Etat, qui atteint plusieurs milliards et résulte d’un contentieux, croyez-vous qu’il soit facile de se faire payer ? Ce n’est un secret pour personne: l’Etat gère beaucoup de contraintes et, au moment des arbitrages de trésorerie, certaines dépenses ne sont pas des priorités.
On peut comprendre très facilement l’intérêt de la cession de créances pour des familles sénégalaises modestes, composées de nombreux membres, qui plus est épuisées par plus de vingt années de procédures judiciaires et administratives.
Vu que les banques et les établissements financiers qui rachètent ces créances sont des investisseurs institutionnels, ils possèdent les moyens de gérer la complexité des procédures. Mais, surtout, ils ont du temps, un temps que ne possèdent pas forcément des personnes physiques, des pères de famille qui aimeraient bien jouir de leur bien sans devoir attendre plusieurs années encore. « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » : ce n’est pas autre chose.
D’accord, mais jusque-là on ne voit pas ce que le directeur des Domaines fait dans l’opération…
Je vous ai dit tout à l’heure que les familles léboues ne possédaient plus des terres à proprement parler, puisqu’il s’était écoulé 34 ans entre leur cession et l’annulation de la vente; il ne leur restait qu’un droit de créance sur l’Etat, droit qu’ils ont revendu à un investisseur.
Le problème qui se posait alors était celui de la valorisation de ce droit. Autrement dit: combien l’Etat devait-il à présent payer en contrepartie des terres qu’il avait expropriées vingt ans plus tôt ?
C’est vous qui avez fixé le montant ?
Absolument pas ! C’est la compétence d’une commission, celle-là même prévue à l’article 3 du décret n°97-563 du 3 juillet 1997 portant application de la loi de 1976 sur les expropriations pour cause d’utilité publique.
SOFICO a introduit un recours devant cette commission, seule habilitée à fixer les modalités de l’indemnisation.
Etiez-vous le président de la commission ?
Du tout. Je n’en suis même pas membre. La commission est présidée par le Gouverneur de région et le Receveur des Domaines fait office de rapporteur. Le Directeur des Domaines que je suis est juste informé, a posteriori, de ses décisions car, par contre, c’est à moi qu’il incombe d’exécuter celles-ci.
Bref, la commission s’est réunie le 21 août 2017 et a retenu une base d’indemnisation, avec une forte décote. Malgré cette décote, la dette de l’Etat vis-à -vis de SOFICO, qui s’était substituée aux Lébous, s’élève à 94 milliards. Voilà d’où vient ce fameux chiffre de 94 milliards ! Vous comprenez donc pourquoi, lorsque Ousmane Sonko m’accuse de détournement sur cette somme, j’en tombe de ma chaise…
Mais 94 milliards, c’est énorme. On peut dire que la commission n’y est pas allée de main morte… D’où les suspicions…
Je ne vous laisserai pas dire cela. Même si je ne suis pas membre de la commission, et donc pas comptable de ses décisions, j’ose affirmer ici qu’elle a fait du bon travail puisqu’elle a permis à l’Etat d’économiser beaucoup d’argent.
Car il existait un rapport d’expertise qui, sur une base scientifique, avait évalué la valeur des terrains expropriés et fixé un prix au mètre carré de 75.000 francs cfa. Savez-vous le prix au mètre carré que la commission a retenu de son côté ? 37.000 francs ! Autrement dit, moins de la moitié du prix déterminé à dires d’expert.
On l’a échappé belle d’ailleurs, car si SOFICO avait contesté en justice la décision de la commission, il est certain que l’addition aurait été beaucoup plus salée.
L’expérience prouve que les tribunaux sénégalais sont soucieux de protéger les droits des particuliers face à l’Etat et ont une forte tendance à arrêter des prix d’indemnisation proches de la valeur vénale. On parle ici d’une superficie de 258 hectares, faites le calcul… Et, comme SOFICO est un investisseur aguerri, disposant de toutes les ressources en termes d’avocats, d’experts, etc., je vous laisse deviner l’issue probable d’une éventuelle bataille judiciaire. Heureusement, la société a préféré négocier.
Grâce soit donc rendue au Gouverneur de Dakar d’avoir réussi à imposer un prix qui fait plus que diviser par deux ce que l’Etat aurait réellement dû débourser.
A la date d’aujourd’hui, l’Etat a-t-il libéré les 94 milliards au profit de l’investisseur ?
A ce jour, seuls 3 milliards ont été payés. Car, par la suite, j’avais été informé de l’existence d’un litige entre certains héritiers lébous et SOFICO, au sujet du rachat de leurs créances.
Comme mesure conservatoire, j’avais immédiatement suspendu le versement des indemnités d’expropriation et, depuis lors, le dossier n’a pas bougé d’un iota. C’était bien avant les élucubrations de Ousmane Sonko.
Mais je suppose que c’est plus porteur pour lui de m’attaquer sur 94 milliards que sur 3 milliards.
Sur quoi exactement porte ce litige entre SOFICO et une partie des héritiers ?
Qu’est-ce que j’en sais ? Pardon de le dire ainsi, mais le fond de leur litige ne m’intéresse nullement. La seule précaution que j’avais en tête et que j’ai prise, c’était de bloquer les paiements en attendant que ce contentieux entre personnes privées se dénoue.
Car j’ai voulu éviter que se répète ce qui était arrivé à l’Etat, il y a plusieurs années. Rappelez-vous: en 1997, on exproprie le terrain et on indemnise SAIM Indépendance, propriétaire depuis 1979. En 2012, la justice annule le contrat par lequel SAIM Indépendance s’était portée acquéreur et, du coup, l’Etat se retrouve avec de nouveaux propriétaires, les familles léboues, qu’il faut indemniser à nouveau, alors qu’entre-temps, la valeur du terrain a augmenté.
Concrètement, vous voulez donc dire que les 94 milliards ne sont pas de la trésorerie, mais que c’est juste une créance de SOFICO sur l’Etat…
Du papier ! De l’argent virtuel ! Voilà ce que sont ces fameux 94 milliards. Et, vu les contentieux qu’il y a autour de cette affaire, je me demande même si SOFICO va un jour arriver à entrer dans ses fonds, au regard des milliards qu’elle a déjà décaissés au moment du rachat de la créance.