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"La polygamie ne serait pas négative si on légitimait au même titre la polyandrie"


Rédigé le Dimanche 12 Février 2017 à 16:09 | Lu 54 fois | 0 commentaire(s)



ENTRETIEN. Kalvin Soiresse Njall est écrivain, juriste et l'auteur de Les Bureaux paternels, un roman sur la polygamie. Il explique.


"La polygamie ne serait pas négative si on légitimait au même titre la polyandrie"

Très engagé dans le mouvement associatif, Kalvin Soiresse Njall, d'origine togolaise, est journaliste mais aussi chargé de projet au MRAX (Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie) à Bruxelles. Actuellement dans la trentaine, Kalvin Soiresse Njall est arrivé en Belgique en 2004 à la suite des troubles ayant agité l'université de Lomé. Licencié en droit des facultés universitaires Saint-Louis de Bruxelles, il est titulaire d'un master de sciences politiques, option relations internationales, après des études à l'Université libre de Bruxelles. Il a répondu aux questions du Point Afrique. 

 
Le Point Afrique : Où la polygamie trouve-t-elle ses fondements dans les sociétés africaines où elle est présente ? 

Kalvin Soiresse Njall : Il faut distinguer différents aspects de la polygamie. Il y a la polygamie légale, d'une part, la polygamie sociale (c'est-à-dire non inscrite dans la loi, mais socialement acceptée), d'autre part et, enfin, le phénomène des relations extraconjugales et des maîtresses qui sont en fait de secondes épouses qui ne disent pas leur nom. C'est un concept souvent attribué à tort à l'Afrique, alors qu'elle n'est pas inhérente à l'ADN des sociétés africaines. Si Napoléon a dû légiférer sur ce sujet, malgré l'importance de l'Église catholique à l'époque, c'est bien que ce phénomène existait en Europe également. Pour comprendre le phénomène de polygamie tel qu'il est vécu aujourd'hui dans de nombreuses sociétés africaines, il faut remonter à la colonisation. La polygamie y était évidemment antérieure, mais la colonisation a renforcé la prépondérance de l'homme dans la société. Rappelons que, à l'époque, les femmes n'avaient toujours pas le droit de vote ni celui d'ouvrir un compte en banque sans l'accord de leur mari, pour ne citer que cela, en Europe. Cette vision arriérée de la femme a été imposée aux sociétés colonisées et s'est prolongée à l'indépendance sur la scène politique, sociale et légale. C'est à ce moment-là que l'on a légalisé la polygamie dans de nombreux pays. 


Comment le concept traditionnel de polygamie a-t-il évolué aujourd'hui ? 


Aujourd'hui, on assiste à un processus de remise en cause de ces lois. Depuis une décennie, on voit se développer des politiques qui mènent à l'émancipation des femmes, notamment grâce à la scolarisation. Elles prennent conscience de leur pouvoir et sont de plus en plus enclines à prendre leur destin en main. Je cite souvent l'exemple du Bénin qui, en 2004, a interdit la polygamie. Les femmes ont fait du lobbying, et la Cour constitutionnelle a autorisé les députés à voter une loi sur la polygamie à la seule condition que la polyandrie soit également autorisée, en raison de l'égalité de tous devant la loi « sans distinction d'origine, de sexe, de religion, d'opinion politique ». Les députés ont alors tout bonnement abandonné ce projet de loi ! Il y a tout de même un décalage entre ce que promeut la loi et les réalités sur le terrain. Il faut mettre en place des outils économiques, sociaux et contraignants pour forcer les gens à respecter cette loi. Les mentalités changeront par un processus historique. Au Rwanda par exemple, les femmes ont pu s'émanciper lorsque, après le génocide, bon nombre d'entre elles se sont retrouvées veuves et qu'elles ont dû reconstruire le pays sans l'aide des hommes. 


Qu'avez-vous à dire de ce que vous appelez la « polygamie sociale » ? 


J'estime que la polygamie légale est néfaste en ce qu'elle donne plus de droits aux hommes qu'aux femmes. Elle est porteuse de stéréotypes qui poussent les hommes à se considérer comme supérieurs aux femmes et mettent en place des mécanismes de discrimination de ces dernières. En ce qui concerne la polygamie sociale, on ne peut pas juger moralement un polygame en dehors des dérives sociales (de violence par exemple, que l'on retrouve par ailleurs également chez des couples monogames) qu'il peut y avoir à partir du moment où les deux parties sont libres de leur choix. Ce qui n'est pas toujours le cas, souvent la famille exerce des pressions sur le fils pour qu'il prenne une seconde épouse, même s'il n'en a pas envie. Ces comportements sont à dénoncer. Aujourd'hui, il y a des femmes occidentalisées, parfois divorcées qui sont indépendantes financièrement et se suffisent à elles-mêmes, mais font le choix d'engager des relations avec des hommes mariés. À partir du moment où elles ont pleinement conscience de la situation de la personne avec qui elles vont vivre, quel pouvoir disposons-nous pour les juger ? On doit arriver à une société où chaque individu puisse se déterminer sans contrainte familiale. 


Que répondez-vous à ceux qui taxent votre discours de néo-colonialiste ? 


Je pense qu'il ne faut pas faire fi des rencontres et des influences dues à notre histoire, il faut les assumer. C'est à nous d'en tirer le positif tout en en rejetant les aspects négatifs. La polygamie légale ne serait pas négative en soi si on légitimait au même titre la polyandrie. Il faut que l'on arrive à décoloniser nos esprits et porter le débat de l'égalité au cœur des sociétés où la polygamie légale est imposée comme au Sénégal ou au Togo. Il faut un débat philosophique et sociétal. Pour le moment, on a des débats épisodiques, mais il faut un débat permanent, qu'il soit abordé dans les manuels scolaires, les médias, les associations, etc. Le changement des mentalités passera par un travail d'éducation. Lorsque je prône l'égalité des sexes, je ne dis pas pour autant qu'il faut appliquer telle quelle cette égalité telle que conçue par les Occidentaux aux sociétés africaines. Il s'agit d'officialiser le rôle important que les femmes jouent dans nos sociétés. Une société qui refuse de se remettre en cause se liquéfie parce qu'elle ne parvient pas à se penser par rapport à l'avenir, c'est le problème de beaucoup de sociétés africaines. 

  

* Kalvin Soiresse Njall, Les Bureaux paternelsL'Harmattan, 1



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