Edito : Du bon usage de la grève au Sénégal


Rédigé le Jeudi 28 Février 2013 à 05:32 | Lu 188 fois | 0 commentaire(s)



« Vous? C’est à cause de vous que j’ai arrêté mes études en 1988 lors de l’année blanche au lycée Limamou Laye ».

C’est une gifle. Dans un aéroport, Léopold Sédar Senghor, de retour de quelques semaines de vacances avec ma famille. A la lecture du nom qui figurait sur le passeport, l’hôtesse dira : « Vous? C’est à cause de vous que j’ai arrêté mes études en 1988 lors de l’année blanche au lycée Limamou Laye ».

Devant l’insistance de son regard, j’ai détourné les yeux sous le poids de la honte. Dissimulant ma culpabilité derrière quelques mots creux. Désarçonné par l’éclatant sourire qui ne cachait aucun ressentiment.


Edito : Du bon usage de la grève au Sénégal
En grève de la faim pour protester contre leur recalage lors de la proclamation des résultats de la licence III, les étudiants de la faculté de Géographie ont annoncé, dans l’indifférence générale, une décision lourde de sens, par l’intermédiaire de leur porte parole Cheikh Coly «Nous n’allons pas vous dire le moment où nous allons nous immoler mais on peut vous promettre que cela se fera à n’importe quel moment de la journée…on ramassera des cadavres, si on ne trouve pas une solution…. ».
La banalisation avec laquelle ces menaces, désormais coutumières sont accueillies par les populations sénégalaises, témoigne du degré de résignation auquel nous sommes arrivés devant la résurgence cyclique de ces mouvements de revendication. Ce qu’il y a de nouveau maintenant, c’est qu’après s’être attaqué, en vain, pendant des décennies aux équipements publics, les syndicats qui devraient insuffler détermination et espérance, sont entrain de développer une rhétorique morbide qui ne m’inquiéterait pas s’il n’y avait depuis quelques années une résurgence cyclique de comportements désespérés tels que les immolations publiques.
Si la grève est un droit garanti par la constitution, un devoir, voire même une purge nécessaire pour rééquilibrer un corps social, il reste inquiétant de constater son inefficacité pour alerter l’opinion sur les menaces qui pèsent sur certains secteurs vitaux de la vie sociale. A force de surenchère, de divisions et d’instrumentalisation politique, les syndicats sénégalais ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, condamnant leurs adhérents à l’errance et aux attitudes désespérées. La grève n’est plus un fait politique ou social, mais une sorte d’épiphénomène quasi naturel dont il faut essayer de se protéger, sans qu’aucun médicament connu ne puisse en venir à bout. Tout se passe comme si le Sénégal avait finalement souscrit à cet ulcère jugé inéluctable. Comme si ce mythe de l’arbre à palabres que nous vantons partout dans le monde n’est viable que dans les contes pour enfants attardés. Enseignants, élèves, travailleurs ou non se révèlent incapables de dialoguer ne communiquent plus que par des menaces face à une opinion publique qui, par conformisme, manque de vigilance ou ignorance, a choisi de l’abstention.
Dangereuse et irresponsable, la surenchère emprunte le chemin de la violence désespérée que l’on est prêt à s’infliger. Ces poussées de fièvre détonnent d’autant plus que depuis l’Indépendance les sénégalais ont démontré leur capacité de dialogue et de résolution des conflits et que l’arrivée d’un nouveau régime, porté par un mouvement populaire sans précédent, devrait être l’occasion d’une mobilisation nationale autour d’un changement de paradigme social et politique. Devenue une véritable drogue, la grève au Sénégal est un des obstacles au développement d’un pays malmené par une classe politique qui n’a pas toujours fait preuve de clairvoyance dans ses relations avec les syndicats. En effet, de tous temps les liens ont été pervers entre les opposants au pouvoir du jour et des représentants syndicaux qui, par manque de moyens de propagande ou par ambition, ont beau jeu de tenir en otage l’activité sociale du pays. Ce pouvoir d’obstruction, de moins en moins considérable, a néanmoins un coût exorbitant pour un pays sous développé.
La part de responsabilité des pouvoirs publics est énorme, en effet. La gestion des conflits syndicaux, entre instrumentalisation politique, paternalisme voire corruption, a nourri la radicalisation des groupes syndicaux qui ont enfoui toute culture du compromis, de la négociation. Quels qu’ils soient les conflits prennent très vite un tour politique avec une gestion ministérielle voire même présidentielle qui réduit à néant l’autorité des départements concernés. Dans l’actuel contexte de changement politique, les syndicats pourraient devenir des partenaires critiques de la stratégie gouvernementale à condition d’avoir une lisibilité des intentions du pouvoir, de la politique qu’il compte mettre en place pour engager la mobilisation nationale pour un développement et une autre culture politique. A défaut c’est la logique de radicalisation qui prévaudra autour de la défense des acquis ou des exigences plus absurdes comme dans le cas de cette grève des étudiants de géographie exigeant un système de notation plus favorable. Cette grève de la faim, assortie d’un psychodrame de menace d’immolation, d’étudiants contestant leurs résultats scolaires illustre jusqu’à la caricature la difficulté des corps sociaux à trouver en eux-mêmes une solution à leurs difficultés et à susciter l’adhésion et le respect des règles édictées. Et, ce n’est pas un hasard si c’est encore une fois le secteur de l’Education qui est en cause.
D’où la nécessité à réunir d’urgence des Etats généraux de l’Education au Sénégal pour pacifier les relations sociales et redynamiser ce secteur clé pour le développement. Le Sénégal ne peut plus se payer le luxe de ce gaspillage quasi quotidien de ses ressources humaines, matérielles et financières. Ce ne sera pas toujours facile ! Le conflit étant inhérent et même vital aux organisations sociales. Il faut, cependant et absolument, un nouvel environnement social pour retrouver une forme d’équilibre reposant sur la conscience que l’Etat ne peut pas toujours combler les pertes. Cela passe par un grand sens des responsabilités des leaders syndicaux, par un Etat renforcé et légitime et par un consensus sur les règles.
Karfa S. Diallo


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