La sortie est rare, le ton tranchant. Dans un entretien accordé à L’Observateur, le magistrat en retraite Ousmane Kane s’est invité dans deux des dossiers judiciaires les plus scrutés du moment : les affaires impliquant Farba Ngom, maire des Agnam, et Mabintou Diaby, épouse du journaliste Madiambal Diagne. Pour l’ancien juge, les deux prévenus devraient bénéficier d’une liberté provisoire, malgré la gravité des faits présumés.
Blanchiment, escroquerie et dossiers explosifs
Farba Ngom a été incarcéré en février, dans le cadre de l’enquête sur les 125 milliards de francs CFA de transactions suspectes relevées par la CENTIF. Le parquet lui reproche notamment un présumé blanchiment de capitaux, un chef d’accusation aux implications politiques et financières lourdes.
Mabintou Diaby, elle, est détenue depuis septembre. Elle est poursuivie pour escroquerie portant sur des deniers publics, dans la tentaculaire affaire Ellipse Projects, qui éclabousse plusieurs cercles politico-administratifs.
Pour Ousmane Kane, pourtant, la détention provisoire de ces deux figures « ne répond pas pleinement aux exigences d’un procès juste et équitable ».
Une expertise médicale « inachevée » au cœur du débat
Le magistrat concentre ses critiques sur le cas de Farba Ngom. Selon lui, le rejet répété de ses demandes de liberté provisoire provient d’une faute de procédure : une expertise médicale qui n’aurait jamais établi si l’état de santé de l’ex-député était compatible avec une détention.
« L’ordonnance de désignation des experts était inachevée. L’expertise ne s’est pas prononcée sur la compatibilité de son état avec une détention, même en milieu hospitalier », fustige l’ancien juge. Une lacune que le parquet aurait exploité « pour refuser toute mise en liberté ».
Kane estime que le parquet comme le juge d’instruction auraient dû corriger d’urgence cette faille. « Le premier en sollicitant une expertise complémentaire, le second en l’ordonnant », explique-t-il.
Selon lui, un rapport médical clarifié aurait pu conduire la Chambre d’accusation à revoir sa position.
« Seul le retour de l’État à de meilleurs sentiments »
La charge d’Ousmane Kane dépasse le simple débat technique. Pour lui, ces détentions sont aujourd’hui moins le résultat d’un processus judiciaire rigoureux que d’une position politique au sommet de l’État.
« Ne nous faisons pas d’illusion : seul le retour de l’État à de meilleurs sentiments les fera sortir de prison », assène-t-il. Et il avertit : « C’est une attitude très risquée pour le Sénégal. Le caractère sacré de la personne est proclamé dans la Constitution et dans toutes les conventions internationales signées par le pays. »
Une critique qui relance un débat sensible
La prise de position du magistrat intervient alors que les milieux de défense des droits humains multiplient déjà les appels à une révision des conditions de détention provisoire dans les dossiers sensibles.
Reste à savoir si cette sortie publique rare et volontairement frontale fera bouger les lignes dans deux affaires où se mêlent enjeux judiciaires, financiers et politiques.







