Ce concert d’indignation a fait douter Libération, le canard par qui le pot aux roses a été découvert. Baldé, lui, est carrément allé à Canossa. En dépit de son siège de parlementaire ! Naturellement, il ne s’est pas fait « égorger » tel un agneau. L’ex-commissaire de police est allé se laver à grande eau dans la presse. Son argumentaire est disponible dès la Une du quotidien L’Observateur du mercredi 31 juillet dernier.
Mais sa ligne de défense est percée de trous. Elle ne convainc, hélas, personne. Même si l’ex-ministre des Forces armées de Wade a tenté de noyer sa défense dans une interview où nombre de questions étaient sans intérêt pour le citoyen lambda. On retiendra l’aveu. Et cet engagement à rembourser les sommes d’argent indûment perçues, relayé par la bande FM. Dans l’interview-défense, il y a eu du Khady Diédhiou par-ci, les retrouvailles de la famille libérale par-là , simple diversion pour affaiblir l’indignation publique. Monsieur le maire, faites comme le héros de Hugo. Lui qui en plein tribunal, s’est écrié : « Ce Jean Valjean, c’est moi ! ». La banque que Baldé incrimine dans cette affaire a bon dos.
Trop peu, par contre, pour absoudre une faute aussi lourde. Etre à la banque ne veut point dire ignorer son vrai net à percevoir. C’est vrai, Baldé est loin des complaintes des travailleurs furieux de la voracité des institutions bancaires. Il n’a pas la calculette à la main à chaque fin de mois. Mais tout l’obligeait à réclamer son bulletin de salaire. Cette précaution l’aurait, sans doute, alerté de la présence d’une rubrique anormale. Pour avoir changé de position, la prudence aurait recommandé qu’il vérifiât si des avantages indus ne continuent pas d’alimenter son compte. C’est le réflexe de tout bon homme politique soucieux des aléas de l’avenir.
Visiblement, l’ex-ministre ne l’a jamais fait. Voilà qui fragilise sa dérobade. Lui-même, Abdoulaye Baldé, creuse le soupçon en refusant de décliner pour notre gouverne le vrai montant encaissé. « Il ne s’agit donc absolument de salaire, encore moins de 150 millions de FCFA », s’indigne-t-il « sans conviction ». Puis, embrayant dans un registre larmoyant, il emprunte une voie bien à la mode en ces temps de traque de biens mal acquis : la victimisation. « Personne n’est content d’être jeté en pâture », gémit-il.
Or, dans cette affaire, il revenait au citoyen, occupé à trimer pour assurer la dépense quotidienne, de se lamenter. Tant l’homme qui vient d’être « jeté en pâture » s’est, vraisemblablement, joué de la confiance du peuple dont il est le mandant à l’Assemblée nationale. Son mérite dans cette affaire c’est d’être allé très vite aux aveux. Ancien flic, il sait bien combien les aveux sont précieux pour une enquête. Non seulement ça accélère le dossier, mais l’adage y ajoute qu’une faute avouée est à moitié pardonnée. Mais dans cette affaire, personne n’ose absoudre l’édile de Ziguinchor.
Au contraire ! Les fonctions qu’il a occupées de 2000 à 2012 sous Wade sont toutes assorties d’un serment. Commissaire de police, Baldé sait parfaitement bien ce que signifie « voler ». Il a dû en traquer, en sermonner ou soumettre certains « clients » à des traitements rigoureux avant de les envoyer au parquet ! L’uniforme de commissaire de police qu’il a porté est assorti d’un engagement solennel à assurer la tranquillité sociale.
Après cette fonction, Baldé est passé à celle d’inspecteur général d’Etat. Une autre fonction beaucoup plus prestigieuse et solidement ligotée à une éthique inaltérable. Le dernier concours de recrutement de cette catégorie de hauts fonctionnaires en témoigne. Un seul candidat a franchi les obstacles. Ses ex-collègues commissaires ou inspecteurs généraux d’Etat ont dû se sentir trahis. Parce qu’un loup était dans la bergerie, se dit-on, sans doute. Pire, « le loup » s’est fait une place dans le gouvernement.
Directeur de cabinet, puis secrétaire général de la présidence de la République, Baldé a été aussi ministre des Forces armées. Plus symbolique est cette fonction de député que Baldé exerce au nom de ses concitoyens désabusés. En sus des avantages matériels, il est drapé de l’immunité parlementaire pour mieux jouer son rôle. Autant de fonctions glorieuses qui s’accommodent mal avec son « coup » porté au Trésor public. Faute d’excommunication, le maire de Ziguinchor devrait raisonnablement se retirer de la vie publique. Il vient de souiller sa carrière de haut fonctionnaire et de conforter ses adversaires politiques, qui ont toujours dénoncé les « moyens déloyaux » mis à contribution pour vaincre Robert Sagna.
Sa campagne électorale lors de ces Locales de 2009 fut une affaire de nanti. Ses grands posters en couleurs sont en encore dans les mémoires, tout comme sa caravane imposante, sa communication, sa sono. « Baldé et son équipe ont mis le paquet », concluait le secrétaire national chargé de l’administration du Rassemblement des écologistes du Sénégal (Res), Ousmane Sow Huchard, sourire aux lèvres, interpellé sur la question juste après le défilé du 4 avril 2009, à Ziguinchor. Le paquet ? C’est une longue histoire qui a démarré en mars 2005.
C’est, en effet, à cette date que le secrétaire général de la présidence est entré en politique, démissionnant de ses fonctions d’inspecteur général d’Etat. Puis s’ouvre une interminable série d’actes d’une générosité, vraisemblablement, bien calculée et « scientifiquement » planifiée. Ses cibles sont multiples et diversifiées. Mais, sa cible de prédilection, c’est la jeunesse. Un de ses actes de « bienfaisance » résonne, encore fort, dans les esprits, à Ziguinchor.
Au total 381 bacheliers de la région, non orientés, en furie, se sont vus ouvrir les portes de la nouvelle Université [privée] catholique de l’Afrique de l’Ouest (Ucao) grâce à Baldé. Et à quelques semaines du scrutin du 22 mars qui l’a consacré maire de Ziguinchor. Le Kekendo, un mouvement d’étudiants de l’université Cheikh Anta Diop s’est vu « mouiller » la barbe avec 15000 tickets de repas de restaurant Universitaire. Des Asc, appuyées financièrement, se sont même lancées dans les affaires en gérant des boutiques ou des cybers. Il délocalise les combats de lutte avec frappe, avec à la clé des entrées gratuites.
Ses actions en direction des femmes, entamées avant 2005, à Oussouye, en particulier, s’amplifient. « 82 Groupements d’intérêt féminins ont été financés à hauteur de plus de 200 millions de frs CFA », annonçait l’ex-sénateur Gassama, son compagnon. « Il n’y a pas un seul imam de village qui n’ait été à la Mecque », précise Bassirou Sagna, chef de parti. Il s’implique dans les cérémonies traditionnelles à coups de millions et équipe d’ambulance tous les postes de santé.
Aujourd’hui maire d’une ville meurtrie par plus de 30 ans de guerre, Abdoulaye Baldé semble avoir abîmé le sérieux normalement attendu de lui. Dans cette cité du Sud où misère sociale et drame familial ont supplanté la belle vie bucolique, peut-on continuer à lui faire confiance ? Une chose est, en tout cas, sûre : le contexte est mauvais pour lui. Un peu partout dans le monde, une sorte d’indignation ambiante traque les politiciens déloyaux et récompense les vertueux. Les temps ont changé. Un simple pardon pour une calamité morale de cette envergure ne vous tire pas d’affaire. Jugez-en plutôt !
La première illustration de cette irruption de la morale dans la politique est Silvio Berlusconi, 76 ans. Le 1er août, la Cour de cassation a confirmé la condamnation de Berlsuconi pour fraude fiscale. Cette condamnation définitive, annonce la presse italienne, est la première prononcée à l’encontre de l’ancien président du Conseil italien. Le cavaliere passait jusque-là pour un miraculé des cours et tribunaux malgré d’innombrables démêlés judiciaires. Il a, en effet, toujours bénéficié d’une prescription ou d’un acquittement. La Repubblica écrit qu’avec cette sentence, la vérité est rétablie sur le personnage, mais aussi sur le « faux miracle entrepreneurial » à l’origine de son succès en politique.
L’autre homme politique au centre d’une polémique nauséabonde est le patron au fauteuil de patron de l’Ump, Jean François Copé. La gauche avec Harlem Désir aux avant-postes l’a vilipendé pour avoir empoché 30.000 euros, rétribution de sa prestation à un forum économique organisé dans la capitale du Congo par le magazine Forbes. Nos hommes politiques s’en seraient glorifiés. Mais dans l’Hexagone, c’est de la « politique business ».
« Un chef de parti de notre pays n’a pas à être payé pour des prestations au service d’intérêts privés à l’étranger. Cette politique business du président de l’UMP en Afrique est profondément choquante, elle est contraire à tous les principes d’éthique et de transparence », a dénoncé Harlem Désir dans un communiqué.
Pour Désir, « il est contraire à l’éthique de monnayer son image, et peut-être son influence, de dirigeant politique français, en échange de sommes d’argent sur lesquelles n’existe aucune forme de transparence ». La gauche française est aussi tombée dans le piège de l’argent avec l’affaire Cahuzac. Ministre du budget, il a dû démissionner. Le séisme Cahuzac a contraint les parlementaires à engager une vraie moralisation de la politique. Dans la foulée de cette affaire, dix députés français engagent une croisade contre le cumul, les avantages fiscaux et veulent publier leur patrimoine.
Toujours en France, le tour de contrôle de la sarkozie, Claude Guéant, est dans la tourmente. Les enquêteurs sont à ses trousses pour deux affaires : la première fait suite à deux tableaux vendus seize fois plus cher sans déclaration de vente au fisc ou au Ministère de la Culture, la deuxième est justement consécutive à des émoluments indus. L’homme, contrairement à Abdoulaye Baldé, s’est enfermé dans une tour d’acier.
Le cas le plus saisissant est sans doute celui de Housseini Amion Guindo, candidat de la Convergence pour le développement du Mali. Ce jeune de 43 ans a fait un tabac à la Présidentielle, avec plus de 4 %. Beaucoup expliquent sa percée électorale par son refus d’empocher l’argent public destiné aux partis politiques au Mali. Il s’est même payé le luxe de battre aux Législatives Ibrahim Boubacar Keïta, l’élu du 2è tour de la Présidentielle malienne.
A 49 ans, Abdoulaye Baldé qui est de la même génération que Housseini Amion Guindo continue, en dépit de cette forfaiture, de faire de la politique. Son parti, l’Union centriste du Sénégal (Ucs), cherche à s’implanter dans le pays alors que tout invite son leader à un retrait volontaire et salutaire de la vie publique. Et à rendre au peuple ses mandats.