« Être maire d’une capitale africaine, une fonction à haut risque » ( Par Seidik Abba, chroniqueur Le Monde Afrique)


Rédigé le Jeudi 17 Août 2017 à 17:20 | Lu 138 fois | 0 commentaire(s)




« Être maire d’une capitale africaine, une fonction à haut risque » ( Par Seidik Abba, chroniqueur Le Monde Afrique)
Selon notre chroniqueur, l’éviction – voire l’emprisonnement – d’édiles à Dakar, Niamey et Cotonou, relève d’un déni de démocratie. 
  
Si Anne Hidalgo avait été à la tête d’une capitale africaine, elle serait aujourd’hui à la recherche d’un emploi – voire en prison. Depuis quelques jours, un conflit ouvert oppose la maire de la capitale française au préfet de police de Paris, Michel Delpuech, au sujet du réaménagement d’une des principales artères de la ville. Chacune des deux personnalités défend sa position à coup d’arguments, sans la crainte pour Anne Hidalgo, d’être évincée de son poste. 
  
Pour beaucoup moins que cela, dans plusieurs capitales africaines, ses homologues ont été brutalement débarqués de leur poste ou jetés derrière les barreaux. Le cas le plus emblématique est celui du maire de Dakar, Khalifa Sall, emprisonné depuis mars pour « détournement de fonds publics ». 
  
La guerre est déclarée 
  
A Niamey, Assane Seydou a eu un peu plus chance. Il a été révoqué le 20 juillet en Conseil des ministres pour « défaut de salubrité » dans la capitale nigérienne, mais le pouvoir n’a pas franchi le pas de le jeter en prison. En tout cas, pas pour l’instant. En 2013, déjà, Oumarou Dogari, prédécesseur de M. Seydou, avait été écarté de son poste à la suite d’une délibération du Conseil des ministres. 
  
Plus au sud, Léhady Soglo, le maire de Cotonou, capitale économique du Bénin, a été suspendu le 2 août de ses fonctions, là encore sur ordre du pouvoir central, qui reproche au rejeton de l’ancien président Nicéphore Soglo, des « fautes lourdes ». 
  
A N’Djamena, Mariam Djimet Ibet ne dort plus sur ses deux oreilles. Sur ordre du gouvernement, l’Inspection du contrôle d’Etat fouille activement dans sa gestion de la capitale tchadienne. Et comme souvent lorsque c’est la volonté en haut lieu, ces inspecteurs ne fouillent pas pour ne rien trouver. On ne sera donc pas surpris si Madame le maire connaît demain, le même sort que ses homologues de Cotonou, de Dakar et de Niamey. 
  
Enfin, à Madagascar, la guerre est déclarée entre le pouvoir central et la maire d’Antananarivo, Lalao Ravalomanana, épouse de l’ancien président Marc Ravalomanana. 
  
Calculs politiques 
  
Derrière cette valse des maires, se cachent des calculs politiques. En effet, il n’est nul besoin d’être « talibé » du cheikh de Touba pour comprendre qu’en offrant un casier judiciaire à Khalifa Sall, le président Macky Sall écarte de son chemin un adversaire potentiel pour la présidentielle de 2019. 

Sauf à nous apporter la preuve du contraire, on ne voit pas la légitimité de Macky Sall à donner des leçons d’intégrité à Khalifa Sall alors que lui-même n’a toujours pas justifié son patrimoine de plus de 1 million d’euros (dont un appartement aux Etats-Unis) sans avoir eu une autre activité que celle de fonctionnaire de l’Etat du Sénégal. 
  
Le président béninois, Patrice Talon, est-il plus crédible pour dénoncer « les dérives » de la gestion de la mairie de Cotonou alors que lui-même n’a pas encore levé le doute sur le conflit d’intérêts entre Talon chef d’entreprise, roi du coton, et Talon président de la République ? 

Le parfum de règlement de comptes politique devient encore plus fort lorsque le président béninois, à la place du procureur de la République près le tribunal de Cotonou, explique à des interlocuteurs, que la perquisition effectuée le 28 juillet au domicile de Léhady Soglo était destinée à mettre la main sur « des documents et de fortes sommes d’argent ». 
  
On pourrait avoir les mêmes doutes sur la légitimité du gouvernement tchadien à « moraliser » la gestion de la mairie de N’Djamena, alors que le pays est aujourd’hui exsangue, le pouvoir central ayant dilapidé l’argent du pétrole (700 milliards de francs CFA pour la seule année 2014, soit plus de 1 milliard d’euros). 

Même dans le cas de Niamey, où le pouvoir invoque « l’état d’insalubrité » de la ville, la raison de l’éviction du maire peine à convaincre. En quoi le président nigérien, Mahamadou Issoufou, est-il comptable de l’enlèvement des poubelles à Niamey, ville dont il n’est pas « le super-maire » ? 

Et pourquoi ne laisse-t-il pas les habitants de la capitale refuser de renouveler leur confiance à leur maire lors de la prochaine élection municipale, si tant est qu’ils sont déçus par sa gestion ? 
  
Saute d’humeur 
  
Au-delà du sort des personnalités débarquées, ces révocations apparaissent comme un déni de démocratie. En effet, ces maires ont reçu, tout comme les présidents, l’onction du suffrage universel. On peine donc à comprendre qu’ils soient brutalement débarqués sur une saute d’humeur d’un homme, fût-il président de la République, alors qu’ils ont été élus par leurs concitoyens. 
  
Imagine-t-on Emmanuel Macron évincer brutalement Anne Hidalgo, Donald Trump limoger le mayor de New York, Justin Trudeau débarquer le maire de Montréal, Charles Michel révoquer le bourgmestre de Bruxelles ? Assurément non. Il faut donc mettre fin à cette « exception africaine », qui veut que le président de la République et le Conseil des ministres révoquent avec une facilité déconcertante, les maires élus des capitales. 

Seidik Abba, journaliste et écrivain, est l’auteur, notamment, de Niger : la junte militaire et ses dix affaires sécrètes (2010-2011), Paris, L’Harmattan, 2013.


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